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Louis XIV est celle en tête de laquelle on voit Boileau et Racine, et qui peut nommer encore Fléchier, Bourdaloue, etc., etc., tous écrivains ou poètes, nés à dater de 1632, et qui débutèrent dans le monde au plus tôt vers le temps du mariage du jeune roi. Boileau et Racine avaient à peu près terminé leur œuvre à cette date de 1687 ; ils étaient tout occupés de leurs fonctions d’historiographe. Heureusement, Racine allait être tiré de son silence de dix années par Mme de Maintenon. Bossuet régnait pleinement par son génie en ce milieu du grand règne, et sa vieillesse commençante en devait long-temps encore soutenir et rehausser la majesté. C’était donc un admirable moment que cette fin d’été radieuse, pour une production nouvelle de mûrs et brillans esprits. La Bruyère et Fénelon parurent et achevèrent, par des graces imprévues, la beauté d’un tableau qui se calmait sensiblement et auquel il devenait d’autant plus difficile de rien ajouter. L’air qui circulait dans les esprits, si l’on peut ainsi dire, était alors d’une merveilleuse sérénité. La chaleur modérée de tant de nobles œuvres, l’épuration continue qui s’en était suivie, la constance enfin des astres et de la saison, avaient amené l’atmosphère des esprits à un état tellement limpide et lumineux, que, du prochain beau livre qui saurait naître, pas un mot immanquablement ne serait perdu, pas une pensée ne resterait dans l’ombre, et que tout naîtrait dans son vrai jour. Conjoncture unique ! éclaircissement favorable en même temps que redoutable à toute pensée ! car combien il faudra de netteté et de justesse dans la nouveauté et la profondeur ! La Bruyère en triompha. Vers les mêmes années, ce qui devait nourrir à sa naissance et composer l’aimable génie de Fénelon était également disposé et comme pétri de toutes parts ; mais la fortune et le caractère de La Bruyère ont quelque chose de plus singulier.

On ne sait rien ou presque rien de la vie de La Bruyère, et cette obscurité ajoute, comme on l’a remarqué, à l’effet de son livre, et, on peut dire, au bonheur piquant de sa destinée. S’il n’y a pas une seule ligne de son livre unique qui, depuis le premier instant de la publication, ne soit venue et restée en lumière, il n’y a pas, en revanche, un détail particulier de l’auteur qui soit bien connu. Tout le rayon du siècle est tombé juste sur chaque page du livre, et le visage de l’homme qui le tenait ouvert à la main s’est dérobé.

Jean de La Bruyère était né dans un village proche Dourdan, en