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LES MORTS.

qui ne peuvent pas encore vaincre l’obstacle de ma vie. Je m’arrête un instant, je regarde si ma dalle blanche ne se soulève pas, et si la centenaire, debout à côté de moi, ne me montre pas Maria del Fiore doucement endormie sur la première marche de notre caveau. En ce moment-là, il y a certes des bruits étranges au sein de la terre, et comme des soupirs sous mes pieds. Mais tout fuit, tout se tait, dès que l’étoile du pôle a disparu. L’ombre grêle des cyprès, que la lune dessinait sur les murs, et qui, balancée par la brise, semblait donner le mouvement et la vie aux figures de la fresque, s’efface peu à peu. La peinture redevient immobile ; la voix des plantes fait place à celle des oiseaux. L’alouette s’éveille dans sa cage, et l’air est coupé par des sons pleins et distincts, tandis que les grands lys blancs du parterre se dessinent dans le crépuscule et se dressent immobiles de plaisir sous la rosée abondante. Dans l’attente du soleil, toutes les inquiètes oscillations s’arrêtent, tous les reflets incertains se dégagent du voile fantastique. C’est alors que réellement les spectres s’évanouissent dans l’air blanchi et que les bruits inexplicables font place à des harmonies pures. Quelquefois un dernier souffle de la nuit secoue le laurier-rose, froisse convulsivement ses branches, plane en tournoyant sur sa tête fleurie, et retombe avec un faible soupir, comme si Maria del Fiore, arrachée à son parterre par la main de Francesca, se détachait avec effort de l’arbre chéri et rentrait dans le domaine des morts avec un léger mouvement de dépit et de regret. Toute illusion cesse enfin ; les coupoles de métal rougissent aux premiers feux du matin. La cloche creuse dans l’air un large sillon où se précipitent tous les bruits épars et flottans ; les paons descendent de la corniche et secouent long-temps leurs plumes humides sur le sable brillant des allées ; la porte des dortoirs roule avec bruit sur ses gonds, et l’Ave Maria, chanté par les novices, descend sous la voûte sonore des grands escaliers. Il n’est rien de plus solennel pour moi que ce premier son de la voix humaine au commencement de la journée. Tout ici a de la grandeur et de l’effet, parce que les moindres actes de la vie domestique ont de l’ensemble et de l’unité. Ce cantique matinal après toutes les divagations, tous les enthousiasmes de mon insomnie, fait passer dans mes veines un tressaillement d’effroi et de plaisir. La règle, cette grande loi, dont mon intelligence approfondit à chaque instant l’excellence,