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DE L’ESPAGNE ET DE SON HISTOIRE.

La France s’aperçoit cependant qu’elle joue grossièrement un jeu de dupe, et qu’un seul intérêt est en action dans la crise où elle se trouve si gratuitement engagée ; elle abandonne alors ses alliances, s’en crée d’autres pour les quitter et les reprendre encore. Rapide et mobile dans ses impressions, tourmentée du besoin d’agir, en même temps qu’incapable de mesurer les conséquences de ses démarches, elle va toujours au-delà du but et découvre de plus en plus sa faiblesse, alors qu’elle affecte à tout propos de faire parade de sa force. Le système autrichien est substitué à l’alliance prussienne, et les femmes, alors officiellement entrées dans les affaires, embrassent la nouvelle combinaison comme un caprice de cœur. La France s’engage sans but et sans motif dans des complications aussi dangereuses qu’imprévues ; elle prend pour elle toutes les charges en se désintéressant à l’avance de tous les bénéfices éventuels. Une guerre plus honteuse encore par la légèreté des vues qui y présidèrent que par les humiliations qu’elle attira sur nos armes, est suivie d’une paix désastreuse, mais nécessaire.

Après s’être agité sans motif, on se repose sans honneur. On laisse périr une grande nation sans avoir même le triste mérite de deviner l’attentat déjà presque consommé. Le prince de Rohan[1] en soupçonne bien quelque chose ; mais le duc d’Aiguillon lui défend même d’arrêter sa pensée sur un projet si peu vraisemblable et si contraire aux assurances qu’il reçoit chaque jour du comte de Mercy, ambassadeur de l’impératrice. Il l’invite à abandonner un fil qui ne pourrait que l’égarer, et à ne pas donner de suite à des révélations dont le seul résultat serait d’inquiéter inutilement le roi. Malheureuse Pologne ! malheureuse France !

Notre diplomatie se relève un instant par la probité de Louis XVI et le talent de M. de Vergennes. Les négociations qui amenèrent la conclusion du traité de 1783, après la guerre d’Amérique, sont dignes des bons temps de la science. Les intérêts coloniaux et po-

  1. Depuis, cardinal de Rohan, alors ambassadeur à Vienne. Vaincu par l’évidence, et malgré les dénégations journalières du duc d’Aiguillon, il se crut enfin obligé d’en écrire directement au roi. La lettre fut remise à Mme Dubarry, qui la lut publiquement à l’un de ses soupers. Un ennemi du prince de Rohan courut en prévenir la Dauphine, qui, blessée d’une telle attaque contre sa mère, se hâta d’en atténuer l’effet et de préparer la disgrace de l’ambassadeur. On sait que ce fut pour vaincre le ressentiment de la princesse que celui-ci s’engagea plus tard dans la fatale affaire du collier, l’un des préludes de la révolution.