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des qualités qui constituent l’historien-publiciste, rôle éminent où l’appréciation de la pensée s’unit à l’étude des hommes, et qui tient par un bout à la vie philosophique, en pénétrant par l’autre dans les réalités de la vie usuelle. Son Histoire de la révolution française se plaça hors ligne par un style ferme et réfléchi, par une manière toujours impartiale, je dirai presque impassible, alors même que l’auteur était encore impressionné par les passions et les préjugés de l’homme de parti. Ce livre signala l’un des premiers la transition du libéralisme de l’ère critique et révolutionnaire au dogmatisme d’une école qui cherche à se rendre raison d’elle-même, en s’appuyant sur l’autorité d’une grande idée sociale.

M. Mignet vit avec Sieyes toute la révolution dans la suprématie politique du tiers-état, et dégageant cette idée des phases sanglantes qu’elle dut traverser pour se faire jour, il la présenta comme un droit supérieur à tous ceux qui disparurent devant elle.

Ce qui fit la puissance du jeune écrivain, ce qui imprima à ses déductions une sorte de rigueur mathématique, était pourtant recueil, sinon de son talent, du moins de sa doctrine. En subordonnant les faits aux idées, il dut s’exposer à en altérer quelquefois le caractère, et surtout agrandir l’importance et la valeur des personnes qu’il contemplait à travers l’œuvre immense où elles étaient engagées. De là une tendance à accepter tous les évènemens, comme s’engendrant forcément les uns les autres, à chercher dans une pensée générale la justification des faits particuliers, au lieu d’y voir le produit spontané des passions et de la liberté humaine.

Je crois de toute mon ame à la philosophie de l’histoire, parce que je crois en Dieu et en la Providence. Je sais que l’esprit humain suit une irrésistible impulsion et que le monde intellectuel a ses lois, comme l’univers physique. Je crois, par exemple, qu’il ne dépendait d’aucune puissance de ravir à la société française les conquêtes de la révolution de 89, et qu’il est également impossible d’empêcher que les résultats de ce grand mouvement ne deviennent européens. Mais j’estime que les faits pouvaient se présenter tout autrement, et qu’un peu plus d’intelligence chez les uns, un peu moins de corruption chez les autres, certains accidens, même de circonstance et de détail, auraient imprimé un tout autre cours, non aux idées qui viennent de Dieu, mais aux évènemens qui viennent des hommes.