Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
DE L’ESPAGNE ET DE SON HISTOIRE.

ses forces, et portèrent un coup mortel à son agriculture et à son industrie naissante ; rien ne se fit pour elle, quoique tout se fit en son nom ; elle était devenue l’accessoire des nombreux et lointains domaines annexés à sa couronne. Ce fut ainsi que le pays qui, par sa configuration géographique, semblait le mieux garanti contre les influences étrangères, les subit par le mauvais effet de ses institutions politiques, plus complètement et plus long-temps qu’aucun autre royaume du continent.

Charles-Quint comprit cependant la fausseté de sa position et toute l’inanité de sa gloire. Il expia l’une au monastère de Saint-Just, et rectifia l’autre en délivrant enfin l’Espagne de l’Autriche et de l’empire. Son fils vécut en roi péninsulaire, « enfermé à l’Escurial comme dans un monastère ; » il saisit une occasion heureuse de conquérir le Portugal, seule possession que les rois catholiques dussent envier, car elle est indispensable à leur sûreté intérieure, et Lisbonne est un point fatal par où l’Europe menacera toujours le gouvernement de Madrid. Mais ce prince n’avait été débarrassé que d’une trop faible partie de l’héritage paternel ; il fallut lui conserver le reste, et des flots de sang castillan coulèrent dans les Pays-Bas, pour prévenir un démembrement que l’Espagne aurait pu saluer comme une victoire. Avec l’étroitesse obstinée de son esprit, la froide exaltation de son ame, il se jeta dans les querelles religieuses de son temps, échoua en France et en Angleterre et se défendit en Espagne en faisant, du tribunal de l’inquisition, la machine de compression intellectuelle la plus colossale que put concevoir l’esprit humain. La Péninsule, où le travail féodal avait été subitement arrêté par l’invasion sarrazine, qui, au XVe siècle, commençait l’œuvre nationale de son organisation politique, lorsqu’elle fut si brusquement interrompue par Charles-Quint, se vit donc rejetée en dehors de toutes les idées européennes par la main de plomb de Philippe II. Pour avoir raison du protestantisme, il atteignit l’esprit humain en sa source même, préparant ainsi pour l’avenir au dogme religieux, si malheureusement associé à son pouvoir despotique, des épreuves plus redoutables que celles qu’il était appelé à traverser dans le reste de l’Europe.

« Philippe, dit M. Mignet, séquestra la royauté dans une solitude abrutissante, il la rendit invisible, sombre, hébétée ; il ne lui fit connaître les évènemens que par des rapports, les hommes que