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DIPLOMATES EUROPÉENS.

survenait bientôt qu’il adoptait avec non moins de chaleur. Depuis la fin de 1813, Alexandre était fortement préoccupé du mysticisme de Mme Krüdner ; il mêlait à ses manifestes européens, à ses théories de paix et de guerre, une sorte de superstition exaltée bien difficile à traduire et à appliquer dans les affaires positives. Au congrès de Vienne pourtant, c’était d’affaires positives que l’on avait à traiter. La Pologne était alors occupée par une armée russe. L’école diplomatique des vieux Moscovites voulait que cette occupation devînt permanente ; elle demandait que la Pologne fût réunie à la Russie, et que les Polonais ne reçussent ni constitution, ni priviléges d’état libre. Les intentions d’Alexandre étaient bien différentes : il songeait à orner son front de la couronne de Pologne ; il voulait en réunir tous les fragmens dans un même système d’organisation politique. Le comte de Nesselrode fut l’exécuteur fidèle de cette pensée au congrès de Vienne ; la question de Pologne fut son unique préoccupation, comme la conservation de la Saxe et la restauration des Bourbons de Naples avaient été le but de M. de Talleyrand. M. de Nesselrode eut aussi à combattre tout à la fois M. de Metternich et la Prusse, qui craignaient de voir échapper les fragmens de la Pologne qui leur étaient échus par le dernier partage. Toutefois ce fut au congrès de Vienne que M. de Nesselrode se lia avec le baron de Hardenberg. La Russie avait appuyé les prétentions de la Prusse sur la Saxe ; des liens politiques et de famille avaient rattaché ces deux états l’un à l’autre ; la Prusse était destinée désormais à servir d’avant-garde à la Russie dans ses projets d’influence sur le midi de l’Europe. Cette intimité de la Russie et de la Prusse amena un rapprochement secret entre l’Autriche, l’Angleterre et la France, dans le but de s’opposer aux projets d’Alexandre.

Tous ces petits intérêts se confondirent en face de l’immense nouvelle du débarquement de Napoléon au golfe Juan. L’empereur Alexandre, plus que jamais dans les idées mystiques et libérales de l’école allemande, n’hésita pas un moment à prêter ses forces à la coalition. Mme Krüdner ne lui avait-elle pas persuadé que l’ange blanc ou de la paix devait en finir avec l’ange noir ou des batailles, et que ce rôle de médiateur et de sauveur du genre humain lui était destiné ? Les immenses armées d’Alexandre se mirent donc en mouvement contre l’ange noir ; mais les Russes, qui avaient prêté un appui décisif dans l’invasion de 1813 et de 1814, n’arrivèrent cette