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SIX ANS.

Pendant que le saint-simonisme s’égarait dans la chimère d’une religion improvisée et d’une société nouvelle, le républicanisme se heurtait à une idée fausse, à la pensée d’abattre violemment le gouvernement à l’érection duquel il avait contribué lui-même, mais qu’il se hâtait de condamner, et dont la ruine lui parut sur-le-champ la condition nécessaire de tout progrès démocratique. Un peu de réflexion, quelque connaissance de l’histoire et des affaires humaines lui eussent démontré le néant de son entreprise. Si la volonté de l’homme est puissante, ses fantaisies échouent toujours. Or que pouvaient penser la France et l’Europe de ce caprice imprévu de renverser incontinent l’œuvre de la veille, et de ne reconnaître que l’insurrection comme instrument de réforme ? Le succès ne seconda pas cette erreur ; la France ne voulait pas suivre cet entraînement aveugle ; elle sentait qu’improviser la république ne donnerait pas la liberté, mais déplacerait le pouvoir en l’aggravant.

La pente des évènemens a été rapide : en 1831, Casimir Périer institua la résistance ; en 1832, l’insurrection fut vaincue le 5 et le 6 juin : 1833 vit l’étrange publication du manifeste des Droits de l’homme ; 1834 fut témoin de la loi sur les associations et des troubles d’avril ; la machine infernale ensanglanta 1835, et les lois de septembre suivirent ; l’attentat d’Alibaud a signalé 1836.

Le temps dévore tout, les grandeurs, les fautes, les crimes et les malheurs des hommes, avec une insatiable avidité ; la société dure au milieu de cette mobilité qui la trouble, sans l’affaiblir, et qui semble au contraire l’aguerrir et la tremper encore.

Mobilitate viget.

Depuis six ans, la nation française a pu rencontrer des revers et des haltes au milieu de ses progrès et de ses triomphes ; mais elle n’a jamais rétrogradé, signe certain de vigueur et de nouveaux succès pour l’avenir.

Le tiers-état, sous l’ancienne monarchie, commença de s’émanciper par l’industrie, et acheva de s’élever par l’église, les lettres et la science. Il avait à sa disposition le négoce, les métiers et la banque ; il avait un pied dans le barreau et le parlement, régnait par la littérature. La révolution de 1789 lui a ouvert le gouvernement.