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DANTE, PÉTRARQUE ET BOCCACE.

le mérite littéraire ; nous n’avons qu’à examiner les prétendus indices d’une association secrète.

M. Rossetti s’obstine à vouloir trouver, dans les autres écrits de Boccace, le jargon d’un sectaire occulte qui n’y est pas, tandis que dans le Décaméron l’esprit antipapal est à la surface.

Boccace démasque l’hypocrisie ; il se moque de la superstition, de la crédulité du vulgaire et de la supercherie des prêtres ; il parle d’un ton goguenard de beaucoup de pratiques de dévotion prescrites par l’autorité ecclésiastique ; il passe en revue le clergé, tant séculier que monastique, sans oublier aucune classe, depuis la cour de Rome jusqu’au curé de village ; il ne censure pas avec austérité, comme l’avaient fait Dante et Pétrarque, les infractions faites au vœu de chasteté : il les peint avec les détails les plus comiques.

Les quatre premières nouvelles sont comme une ouverture d’opéra, où le compositeur fait pressentir tous les motifs qui vont se déployer dans le corps de l’ouvrage. D’abord, nous avons le sieur Chapelet, grand scélérat, déclaré saint moyennant une fausse confession. Vient ensuite le juif Abraham et son ami chrétien, un riche marchand de Paris, qui met tout en œuvre pour le convertir. L’honnête juif dit qu’avant de prendre une résolution, il veut visiter la capitale de la chrétienté, projet dont son ami s’efforce vainement de le détourner. Abraham revient de Rome, et dit, au grand étonnement du marchand, qui avait déjà désespéré de sa conversion : « Maintenant je me ferai baptiser ; car une religion aussi mal gouvernée, qui néanmoins se maintient, doit avoir une origine surnaturelle. » C’est une apologie ingénieuse du poète, qui déclare par là qu’en peignant les vices des mauvais ministres de la religion, il n’a pas voulu porter atteinte au respect qui lui est dû. La troisième nouvelle est la plus hardie de toutes. Saladin consulte un sage juif sur le mérite relatif des trois religions qui se partageaient le monde alors connu ; le juif se tire d’affaire par la parabole des trois anneaux, dont l’application range sur un pied d’égalité la loi judaïque, chrétienne et mahométane. Lessing en a fait usage dans un drame destiné à recommander la tolérance universelle, et c’est là l’interprétation la plus favorable qu’on puisse donner de cette parabole. Dans la sixième nouvelle de cette jour-