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et des hymnes guerriers, ils composaient aussi des chants satiriques.

Diodore de Sicile dit positivement qu’ils louent les uns et raillent les autres. L’épigramme est aussi ancienne que le panégyrique ; à toutes les époques, il y a la poésie qui raille en face de la poésie qui loue. Momus figure, dans l’Olympe antique, et Loki, dans l’Olympe Scandinave ; le même siècle vit naître l’Iliade et le Margitès. Les chants exaltés des troubadours furent contemporains des sirventes moqueurs.

Mais rien ne correspond plus exactement aux trois genres de la poésie gauloise que les trois sortes de poésie dont les scaldes de la Scandinavie fournissent des exemples.

En effet, l’Edda contient des poésies mythologiques et cosmogoniques, dont les auteurs furent ou des scaldes prêtres ou des scaldes affiliés aux prêtres de la nation, écrivant sous une influence religieuse et sacerdotale. On possède en outre des chants nombreux de scaldes guerriers ; ces chants sont analogues aux chants belliqueux mentionnés par Lucain. Enfin, les sagas Scandinaves renferment une foule de chants satiriques ; ceux-ci ont même un nom particulier (nidungr visu).

D’après cette corrélation de divers genres de la poésie des bardes avec ceux que présente la poésie des scaldes, on peut, jusqu’à un certain point, se former une idée des monumens de la première qui ont péri, par les monumens de la seconde qui subsistent.

On est d’autant plus autorisé à faire ce rapprochement, qu’on trouve chez des bardes gallois du ive siècle certaines images qui semblent empruntées aux scaldes.

Le barde Aneurim a composé un chant où se trouvent ces mots[1] : « Il a rassasié les aigles noirs, il a apprêté un festin aux oiseaux de proie. » N’est-ce pas le refrain favori des scaldes, que le chantre des Martyrs a éloquemment rappelé dans le bardit de son admirable bataille des Francs ? N’est-ce pas comme si on entendait Ragnar-Lodbrok s’écrier au milieu des serpens auxquels on l’a livré. « Nous avons apprêté un festin abondant aux corbeaux, nous avons rassasié les oiseaux de proie. » Le barde ajoute : « La chair était préparée pour les loups plutôt que pour le banquet nuptial. » N’est-ce pas cette étrange association d’images de sang et

  1. Evan, Some Specimens of the poetry of the ancient Welsh bards, p. 72-75.