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LES BARDES.

contre, est mêlée de farouches plaisanteries que les scaldes ne désavoueraient pas. Owen dit à son échanson : « Apporte-nous du vin[1], du meilleur, ou ta tête sera abattue. » Joyeuseté de table un peu sombre et assez dans le goût scandinave. Un passage d’un barde nommé Moke (1240) montre avec naïveté comment les bardes envisageaient à cette époque leur position auprès des chefs gallois.

« Nous, bardes du pays breton, notre prince nous convie au 1er janvier, et chacun, selon notre rang, nous nous livrons à la joie, recevant de l’or et de l’argent pour notre récompense. »

Il termine ainsi l’éloge de son prince ;

« Heureuse la mère qui t’a porté, car tu es sage et noble, tu distribues largement de riches habits, de l’or et de l’argent, et tes bardes te célèbrent parce que tu les fais asseoir à ta table et leur donnes tes chevaux. Moi-même, j’ai été récompensé de mon don de poésie par de l’or et une distinction flatteuse, et si je désirais que mon prince me fît cadeau de la lune, il me la donnerait certainement. »

On voit que si le barde montre une avidité un peu empressée pour l’or, l’argent et la table de son patron, du moins il ne manque pas de confiance dans sa libéralité.

Au xive siècle, la poésie des bardes, s’éloignant toujours plus de sa sévérité primitive, tourne, sous l’influence de la chevalerie qui pénètre partout, à la mollesse et à la galanterie. Les bardes soupirent comme des ménestrels. Un d’eux, Howel, en 1310, adressait à sa belle des stances où la grace est souvent mêlée à l’afféterie. J’aime assez qu’il lui dise : « Tu es semblable au flocon de neige que le vent chasse devant lui ; tu as la blancheur de la vague qui se brise. » Je suis encore en pays celtique, je me crois chez Ossian. Mais quand le barde ajoute : « Si tu me demandais mes yeux, ô toi qui es le soleil d’une vaste contrée, je m’en séparerais volontiers pour te plaire, tant est grand le mal que je souffre… Ils me sont une cause de peine quand je regarde les murs polis de ta demeure et que je te contemple belle comme le soleil levant. »

Je crois voir l’affectation du madrigal poindre au sein de la poésie des bardes, que viennent envahir les raffinemens de la litté-

  1. Evan, Welsh Bards, p. 8.