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ce titre. C’est depuis cette époque seulement que l’Irlande a une harpe pour armoiries et pour symbole.

Les bardes irlandais eurent la direction patriotique que nous avons remarquée chez les bardes gallois. Ils la conservèrent jusque sous Élisabeth, et c’est ce qui attira sur eux la colère et le mépris de ses partisans et de ses serviteurs. Spenser, le célèbre auteur de l’apothéose allégorique et chevaleresque de la Reine de Féerie, disait d’eux : « Il y a parmi les Irlandais une certaine classe de personnages appelés bardes, dont la profession est de mettre en relief, dans leurs rhythmes, la louange et le blâme. Ils sont tenus en si haute estime et réputation, que nul ne leur ose déplaire, dans la crainte, s’il les offensait, de s’attirer leurs invectives et d’être déshonoré dans la bouche des hommes. Leurs poèmes sont reçus avec un applaudissement général, et chantés aux fêtes et aux assemblées par d’autres personnes dont c’est la fonction particulière et qui sont aussi récompensées par des dons et une grande renommée. Les bardes irlandais choisissent rarement les actions des hommes de bien pour sujet de leurs éloges. Mais celui qu’ils trouvent le plus désordonné dans sa conduite, le plus dangereux et le plus désespéré dans tout ce qui constitue la désobéissance et la rébellion, ils le rehaussent et le glorifient dans leurs rhythmes, ils le vantent au peuple, et le proposent aux jeunes gens comme un modèle à imiter. »

Spenser, qui avait sa part de la conquête de l’Irlande, ne pouvait éprouver une grande sympathie pour les bardes qui poussaient à la rébellion le peuple conquis, ni pour ce que le poète élégant appelle dédaigneusement leurs rhythmes comme pour ne pas compromettre le mot de vers.

L’auteur un peu pédantesque de l’Arcadie, sir Philippe Sidney, se plaignait qu’en Irlande la vraie science fût pauvre et les bardes respectés[1].

Avec le temps, les anciens bardes ont été remplacés en Irlande par des mendians aveugles chantant de vieilles chansons et en composant de nouvelles, menant dans une sphère moins élevée une vie assez analogue à celle des bardes, allant demander l’hospitalité

  1. Walker, Hist. mem. 132.