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LES BARDES.

tête du triste enfant de Morven, point de ciel, mais des nuages ; point de divinités, mais des ombres.

Il semble que l’ancienne religion des druides, en se retirant, a laissé un vide où la religion chrétienne n’est point entrée, et que le vide s’est rempli de fantômes !

Dans cette absence de toute religion, toute trace du rôle religieux des bardes a complètement disparu. Comme dans le pays de Galles et en Irlande, ils sont tantôt des hérauts de paix et de concorde, tantôt des chantres belliqueux. Quand un étranger arrive, avant de lui demander son nom, ils vont l’inviter aux joies du festin ; s’il apporte la guerre, ils se placent sur la colline, et enflamment le courage des combattans. Après la victoire, assis près du chef sur la bruyère, autour du chêne brûlant, ils célèbrent sa gloire et la gloire de ses aïeux.

Le ton grave et triste de la poésie ossianique n’y laisse jamais retentir d’accent satirique et moqueur. Ici le caractère dominant du barde est un caractère mélancolique ; le type peut-être idéal du barde calédonien, c’est Ossian ; c’est un vieux guerrier aveugle, le dernier de sa race, se levant dans la nuit parce qu’il a entendu les armures de ses pères frémir aux murs de la salle abandonnée ou leur voix se plaindre dans les vents, détachant sa harpe suspendue près de son bouclier, et chantant dans les ténèbres, aux murmures du torrent, les exploits de son père, la mort de son fils, les hauts faits de sa jeunesse, les joies et les combats des jours qui ne sont plus.

L’Irlande dispute à la Calédonie son barde. L’Irlande réclame Ossian et Fingal, et il paraît que l’Irlande a raison. Si Fingal et Ossian ont vécu quelque part, c’est dans Erin. Les démêlés de la tribu de Finn et de la famille de Morni, tels que la raconte la vieille poésie irlandaise, semblent se rattacher à quelque vérité historique et locale. Les poésies irlandaises ont un caractère un peu moins indéterminé que les chants calédoniens ; elles semblent tenir de plus près à la réalité. C’est en se transplantant ou se dépaysant dans les montagnes d’Écosse que ces traditions natives d’Irlande ont perdu sur un sol étranger leur consistance et leur physionomie, et sont devenues elles-mêmes vaporeuses et vagues comme les brumes de leur nouvelle patrie et comme les ombres qui les habitent.