Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/460

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
456
REVUE DES DEUX MONDES.

En effet, c’est bien la gazette du temps, rédigée par un esprit fort qui se met à l’aise, tout en ménageant les convenances, par un sceptique, écrivant non pas pour le public, mais pour un petit cercle d’amis. C’est, à coup sûr, l’un des pamphlets historiques les plus amusans que l’on connaisse après les mémoires du duc de Saint-Simon et les historiettes de Tallemant. Guy-Patin se peint tout entier dans ses lettres ; son indignation incessante contre les apothicaires, qu’il appelle de monstrueux colosses de volerie, sa fureur contre l’antimoine, son dédain des marchands, viennent interrompre çà et là, par leurs formes grotesques, les boutades continuelles et les spirituelles saillies de ce caractère plein d’aménité et d’obligeance scientifique, qui fut incrédule par vanité et incisif par amour-propre. Sa nature, fortement accentuée, se développe à l’aise dans ces lettres ; aussi, il ne faut pas s’étonner qu’un homme, qui lui était semblable en certaines parties, Bayle, ait trouvé cette correspondance « pleine de traits vifs et hardis qui divertissent et font faire de solides réflexions. »

Tels étaient les deux hommes les plus remarquables des réunions de Gentilly chez Naudé. Le précepteur du duc d’Anjou, Lamothe-le-Vayer, venait aussi s’y mêler quelquefois, mais toujours sur le ton de cérémonie. C’était un homme de médiocre taille, d’une conversation agréable, fournissant infiniment sur quelque matière que ce fût ; un peu contredisant, à la vérité, mais sans entêtement, parce que toutes les opinions lui étaient indifférentes. Il s’habillait singulièrement, ne pouvait souffrir aucune espèce de musique, mais tombait en extase au bruit du vent ; il se maria à soixante-dix-huit ans pour se consoler de la mort de son fils ; d’ailleurs plein de connaissances variées, mais qui n’étaient nouées à aucun centre, il écrivit tout à la fois des traités de morale à l’usage des princes, les cyniques Dialogues d’Orasius Tubero, et les pages souvent graveleuses de l’Hexameron rustique. Lamothe-le-Vayer tenait, par sa position dans le monde, à ces littérateurs de cour dont se moquaient entre eux nos sceptiques de Gentilly, et par la nature même de son caractère littéraire à l’école de Naudé, qui mêlait l’érudition et l’art. Tout donc entre lui et les amis de Patin se passait en politesses ; il leur offrait ses livres, et en revanche Naudé l’appelait le Plutarque de la France. Du reste, Lamothe-le-Vayer, qui mériterait une étude à part, ne prenait pas pour médecin Guy-Patin. Ainsi, lors de la mort de son fils, on le voit appeler seulement Esprit, Brayer et Brodineau, qui, selon Guy-Patin (que ce jugement peint bien), envoyèrent le jeune homme au pays d’où personne ne revient. À propos de Lamothe-le-Vayer, je retrouve encore dans les lettres de Patin cette acrimonie injuste qui le caractérisait ; il le trouve autant stoïque qu’homme du monde, mais voulant être loué sans