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POÈTES ÉPIQUES.

arrivassent d’Allemagne, étaient acceptées par nous en France sans presque aucun contrôle. Il semblait qu’elles portassent au front le signe visible de l’infaillibilité. Plus elles sortaient des habitudes reçues, plus ces filles de la révélation nouvelle étaient accueillies avec avidité. Mais ces temps sont passés ; un trop grand nombre de ces fantômes nous ont trompés, se donnant chez nous pour jeunes et nouveaux quand ils étaient déjà surannés et décrédités dans leur pays. La barque qui va et vient sur le Rhin nous a apporté de la contrée des songes assez d’ombres sans corps, auxquelles nous avons accordé le droit de cité. Avant de les suivre dans leurs vides royaumes, il doit nous être permis aujourd’hui d’examiner ces hôtes, sans être taxé d’intolérance.

Quand je considère de près la question d’une épopée populaire dans les premiers temps de Rome[1], autant cette hypothèse agrée d’abord à ma fantaisie, autant, après cela, je trouve peu de raison de me fier à cet attrait ; et je finis par ne découvrir pas moins d’invraisemblance dans le système nouveau que dans la fable antique. La première chose que je demande est de savoir par quels organes cette épopée s’est exprimée, par quels moyens elle s’est transmise et perpétuée. Or, cette difficulté si élémentaire m’arrête tout court. Où sont, dans Rome, les chanteurs des poèmes romains ? où sont les rhapsodes, les homérides latins ? Il n’y en a point, et je n’aperçois rien qui puisse les suppléer. Évidemment, si, pendant quatre siècles, les souvenirs nationaux se sont transmis par le chant, on aura découvert dans les habitudes publiques des Romains la trace d’établissemens semblables à ceux des Grecs. Il y aura parmi eux des familles qui feront profession de réciter, de père en fils, l’Iliade de Romulus ; cette profession elle-même sera une sorte de sacerdoce. Ce que la société héroïque du moyen-âge a fait pour des fictions qu’elle savait être telles, la société romaine ne l’aura-t-elle pas fait pour le poème sacré de la cité ? Chez les modernes, je connais des bardes, des ménestrels, des trouvères,

  1. Les ouvrages modernes que j’ai pu consulter sur ce sujet sont, après l’Histoire Romaine de Niebuhr, les examens qui en ont été faits par William et Frédéric Schlegel, 1815 et 1816 ; de Fontibus historicis T.-Livii, Lachmann, 1822 ; Epicrisis quœstionis de Hist. Rom. antiq. fontibus et veritate, Beck ; de Originibus Hist. Rom. dissertatio, Petersen, 1835 ; Histoire de l’état romain, Wachsmuth ; Hist. lat., Krause, 1835 ; Blum, 1828.