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En effet, il est arrivé aux Romains ce qui est advenu à toutes les civilisations naissantes quand elles ont été subitement mises en rapport avec des civilisations plus avancées. Celles-ci ont promptement dévoré celles-là. Dès le berceau, l’Hercule latin a été enlacé par les replis du serpent grec ; jamais il n’a pu s’en dégager. Au-dessus des huttes de Romulus planait le fantôme de la civilisation homérique. À peine ce dernier commença-t-il à paraître, qu’il fût le maître, et qu’on n’en voulut plus reconnaître d’autre. La révolution commença par les dieux ; le tagès d’Étrurie s’inclina sur sa glèbe, comme un serf, devant le Jupiter Panhellénien.

Ce changement ne produisit pas même un schisme, et le polythéisme païen fonda dès-lors dans Rome une sorte de catholicisme païen. Le vieux Saturne d’Italie se laissa détrôner sans résistance par les dynasties des dieux étrangers. Le ciel grec s’abaissa avec toutes les nuées olympiennes sur l’Italie, sans qu’il sortît un seul murmure de cette terre déshéritée. Il est vrai que les populations les plus religieuses avaient été extirpées au préalable. Les cités cyclopéennes n’étaient déjà plus habitées que par les couleuvres toscanes, et les Romains avaient traité les Étrusques de la même façon que plus tard Charlemagne traita les Saxons hérétiques. Par là fut frayé le chemin aux croyances et aux divinités nouvelles. Quand fut ainsi consommée l’invasion religieuse, que restait-il à faire à l’art ? il lui restait à l’admettre et à s’y conformer.

Supposez que dans la lutte les Étrusques l’eussent emporté sur les Romains, l’Italie ancienne eût certainement produit une poésie plus originale. Au lieu de tout puiser dans l’imitation de la Grèce, leur art eût trouvé ses formes dans la liturgie toscane, dans les hymnes des prêtres, des augures, des sibylles. Mais l’extirpation de ce peuple fut en même temps l’anéantissement de la vieille poésie italique. Je remarque que la même question de civilisation et d’art qui se débattit entre Athènes et les Persans, se résolut dans le même sens entre Rome et les Étrusques. En soumettant ces derniers, Rome soumit avec eux le sacerdoce qui devint muet, et perdit sa poésie dans l’esclavage de la cité politique : ainsi, on peut dire que dans l’antiquité l’école d’Homère triompha deux fois du génie sacerdotal et oriental, la première avec les Grecs à Salamine, la seconde avec les Romains au bord du lac Regille.

Si pour produire un système de faits propres à la poésie épi-