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POÈTES ÉPIQUES.

Dans la coupe des Grecs nous boirons à longs traits.
Quand l’épine est au cœur qu’un long passé dévore,
Nous apprendrons encore
À cueillir sur l’Ida les simples des forêts.

Je n’ai point oublié le sentier de l’Attique.
J’ai suivi plus d’un jour, au bord de mon caïque,
Dans le flot albanais la plainte de Sapho.
Mes yeux ont vu de près les grands dieux sur leur faîte,
Et, dans ma longue nuit, des cinq voix du Taygète
J’entends partout l’écho.

Mais toi, n’espère pas que nos libres pensées
Reprennent, sous ton joug, les entraves passées,
Comme un honteux bétail qui choit sur ses genoux.
Non, non ; trop de sentiers, sur de nouveaux abîmes,
Ont aplani nos cimes.
La muse repentie habite loin de nous.

De tes philtres latins nous défions les charmes.
Des amours plus puissans ont de leurs chaudes larmes
Effacé dans nos mains tes livres entr’ouverts.
Que feraient, sous nos toits, tes petits Dieux de plâtre,
Et tes Lares gourmands, qui, rangés dans ton âtre,
Nous cachent l’univers ?

Maudit ! maudit cent fois le poète parjure
Qui le premier, livrant son aile à ton injure,
Voudrait tout ramener aux lois de ton ciseau ;
Et, prenant ta quenouille où ta main l’a laissée,
Dans ton froid gynécée,
En rimes filerait un servile fuseau !

Que jamais sa maison ne soit de chants remplie !
Que l’amphore en ses mains ne garde que la lie !
Que les mots dans son cœur ne rendent qu’un vain bruit !
Que jamais une vierge, amante de sa gloire,
N’éveille, pour l’entendre, en leur couche d’ivoire,
Les songes de la nuit !


Edgar Quinet