Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/516

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
512
REVUE DES DEUX MONDES.

sure utile, longuement et consciencieusement élaborée par les communes. Le bill des mariages catholiques, et je ne sais combien d’autres, aussi essentiels et réclamés, ont successivement succombé sous leurs coups. Restait le bill de réduction du timbre, qui, à son titre de la loi de finance, paraissait devoir s’échapper sain et sauf de leurs mains. Mais ne voilà-t-il pas que la sagacité de lord Lyndhurst s’est avisée d’y découvrir une clause intolérable, en ce qu’elle s’immisce tyranniquement, à son avis, dans la propriété des journaux. Étrange métamorphose ! les lords se sont faits soudainement les champions de la justice et de la liberté. Ils deviennent plus radicaux que les radicaux eux-mêmes. La clause soi-disant vexatoire est écartée du bill, bien qu’elle n’eût d’autre tort, au fond, que d’être à peu près inutile. Ce dernier acte de la pairie témoigne plus de perfidie et de hardiesse qu’aucun de ses actes précédens. Il est clair que sous le prétexte spécieux de protéger l’intérêt des journaux, elle n’avait qu’un but, celui de rendre impossible pour cette année l’exécution d’une réforme universellement populaire. Que devait-il en effet arriver, selon toute probabilité ? Cette fois, le privilége des communes était incontestablement entamé. Si le bill, qui n’était que pure matière de finance, leur était rapporté, elles seraient nécessairement contraintes de le repousser d’emblée. La session expirait. Il serait bien difficile au cabinet d’obtenir d’elles une nouvelle loi qui pût être renvoyée aux lords, dégagée des articles sur lesquels ils avaient fondé leur opposition. Ils auraient ainsi triomphé et rempli leur objet. Heureusement l’activité et la décision du chancelier de l’échiquier ont déjoué ces calculs machiavéliques de leurs seigneuries. Le bill du timbre, qu’elles avaient altéré, a été en effet supprimé le 11 par les communes ; mais il leur en a été présenté immédiatement un nouveau, qui a subi, séance tenante, sa première lecture. Les lords seront pris au mot. La loi leur sera soumise telle qu’ils l’ont voulue, et, bon gré mal gré, il leur faudra bien la voter avant la clôture du parlement. Du reste, puisque sa témérité rencontre si peu de résistance le torisme a peut-être raison de profiter de sa veine pour tenir en échec ses adversaires, et réparer un peu son rempart lézardé. C’est chez les Anglais une maxime politique que dans la guerre des partis tout moyen d’attaque et de défense est légitime. En ce moment de tiédeur publique, les whigs jouent également bien leur jeu lorsqu’ils se bornent à louvoyer, à maintenir, l’arme au bras, leur position. Ce sont les radicaux seuls qui ont tort, et marquent peu d’intelligence en gourmandant, comme ils font aujourd’hui, le peuple lui-même de sa torpeur. L’esprit démocratique a, de temps en temps, besoin de se reposer et de dormir. Soyez-en sûrs, il saura bien s’éveiller tout seul quand il le faudra, et prendre en un instant toutes ses revanches.


F. Buloz.