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ROMANCIERS DE LA FRANCE.

que ce prince s’était aperçu de la sensibilité qu’elle avait eue pour lui ; et ses paroles lui firent voir qu’elle ne s’était pas trompée. Ce lui était une grande douleur de voir qu’elle n’était plus maîtresse de cacher ses sentimens, et de les avoir laissé paraître au chevalier de Guise. Elle en avait aussi beaucoup que M. de Nemours les connût ; mais cette dernière douleur n’était pas si entière, et elle était mêlée de quelque sorte de douceur. » — Les scènes y sont justes, bien coupées, parlantes, en un ou deux cas seulement invraisemblables, mais sauvées encore par l’à-propos de l’intérêt et un certain air de négligence. Les épisodes n’éloignent jamais trop du progrès de l’action, et y aident quelquefois. La plus invraisemblable circonstance, celle du pavillon, quand M. de Nemours arrive singulièrement à temps pour entendre derrière une palissade l’aveu fait à M. de Clèves ; cette scène que Bussy et Valincourt relèvent, faisait pourtant fondre en larmes, au dire de ce dernier, ceux même qui n’avaient pleuré qu’une fois à Iphigénie. Pour nous, que ces invraisemblances choquent peu, et qui aimons de la Princesse de Clèves jusqu’à sa couleur un peu passée, ce qui nous charme encore, c’est la modération des peintures qui touchent si à point, c’est cette manière partout si discrète et qui donne à rêver : quelques saules le long d’un ruisseau quand l’amant s’y promène ; pour toute description de la beauté de l’amante, ses cheveux confusément rattachés ; plus loin, des yeux un peu grossis par des larmes , et pour dernier trait, cette vie qui fut assez courte, impression finale elle-même ménagée. La langue en est également délicieuse, exquise de choix, avec des négligences et des irrégularités qui ont leur grâce, et que Valincourt n’a notées en détail qu’en les supposant dénoncées par un grammairien de sa connaissance, et avec une sorte de honte d’en faire un reproche trop direct à l’aimable auteur. Je n’y distingue que deux locutions qui ont vieilli : « Le roi ne survécut guère le prince son fils ; » et : « Milord Courtenay était aussi aimé de la reine Marie, qui l’aurait épousé du consentement de toute l’Angleterre, sans qu’elle connut que la jeunesse et la beauté de sa sœur Élisabeth le touchaient davantage que l’espérance de régner ; » pour, si ce n’est qu’elle connut, etc. ; cette dernière locution revient plusieurs fois.

Le petit volume de Valincourt, qu’Adry a réimprimé dans son édition de la Princesse de Clèves, est un échantillon distingué de la