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MANUSCRIT DE SANCHUNIATHON.

pouvait le trahir. De plus, un mystificateur, dont le but eût été surtout d’obtenir un débit considérable, aurait cherché à composer un livre plus divertissant, à y jeter plus d’épisodes romanesques ; on invente difficilement l’histoire complète d’un peuple tel que les Phéniciens, car, à chaque pas, l’on est exposé à se trahir. Or, il faut en convenir, dans l’analyse de Sanchuniathon, la simplicité et la vérité de la narration, ses coïncidences avec la Bible, la multiplicité des détails, la facilité avec laquelle les noms propres s’y expliquent par l’hébreu, tout semble annoncer une composition originale. Enfin, et cet argument n’est pas sans quelque force, l’auteur, qui fixe l’existence de Sanchuniathon au vie siècle avant notre ère, n’eût pas manqué d’insérer dans son livre l’histoire de la fondation de Carthage, et surtout le récit du siége de Tyr par Nabuchodonosor, tandis qu’il s’arrête au ixe siècle, se bornant à indiquer les historiens qui ont raconté les évènemens postérieurs. On ne peut non plus tirer un argument négatif de l’époque tardive de cette découverte, autrement il faudrait nier l’existence de la République de Cicéron, des Institutes de Gaius, de la Chronique d’Eusèbe, des différens ouvrages de Lydus, etc. Ce n’est pas d’ailleurs la première mention qui soit faite d’un manuscrit de Sanchuniathon. Beck, dans une note sur la bibliothèque grecque de Fabricius, prétend qu’il existe un fragment inédit de cet auteur à la bibliothèque de Médicis à Florence ; il ajoute qu’un troisième fragment a été recueilli en Orient par Peiresc qui le porta à Rome au père Kircher, mais que ce dernier refusa de le publier. Enfin, Léon Allatius a, si je ne me trompe, dit quelque part avoir vu de ses propres yeux dans un monastère des environs de Rome un manuscrit de Philon de Byblos.

Le seul argument négatif qui ait quelque force, c’est l’absence de tout renseignement précis sur le manuscrit qu’on prétend avoir découvert dans la péninsule espagnole. Mais s’il est vrai, comme on l’assure, que ce livre provienne d’un couvent portugais qui fut pillé lors de l’expédition de don Pedro contre son frère, et qu’il ait été porté en Allemagne par un officier hanovrien[1], on conçoit qu’on ait hésité à citer des noms propres.

Déjà des opinions très opposées ont été émises sur cette dé-

  1. C’est ce que semblait prouver le début de la préface de M. Grotefend : « Quel écrit pourrais-je recommander avec plus de joie aux savans que celui qui nous fait connaître le contenu d’un livre dont la perte a été si long-temps déplorée et qu’un heureux hasard a fait retrouver dans un manuscrit bien conservé et tomber entre des mains allemandes ? »