Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/582

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
578
REVUE DES DEUX MONDES.

l’ouvrage de M. Naville, par des recherches de statistique sur le nombre des pauvres dans les contrées soumises à la mesure qu’il combat. Les pièces qu’il a réunies donnent une triste idée de l’état présent de l’Europe. Citons quelques faits. À Copenhague, la taxe prélevée au profit des indigens, s’est doublée en quatre ans. La Suède est également souffrante. À Stockholm, où se trouvaient, il y a un siècle, 930 pauvres, on en compte aujourd’hui plus de 15,000. À Berlin, depuis 1815, la dépense a quadruplé, et l’accroissement de la population, au lieu de partager le fardeau, a au contraire grossi la classe qui est réduite à vivre d’aumônes. À Venise, une moitié de la ville est positivement assistée par l’autre, et le gouvernement autrichien fait de grands sacrifices dans l’intérêt de la tranquillité. Le voile jeté sur cette partie de l’administration dans plusieurs principautés de l’Allemagne, cache sans doute de grandes calamités, et le soupçon est confirmé par le nombre considérable d’Allemands qui sont forcés de s’expatrier chaque année. Les sept ports des États-Unis en ont reçu 31,000 dans le courant de 1834. Sur 100 habitans, la Hollande en secourait 9 en 1822 ; la proportion s’élève aujourd’hui à 12. En Belgique, plus d’un sixième de la population est à l’état d’indigence. En Suisse, la taxe est très inégalement répartie, mais partout elle tend à s’accroître. « Il est des districts, dit M. Naville, dont les bourgeois, pour échapper à des charges énormes, renoncent à leurs droits de bourgeoisie avec plus d’empressement que leurs pères n’en avaient mis à les conquérir. » Le canton de Berne, qui soutient un dixième de sa population, est un des moins écrasés. En d’autres parties, le nombre des assistés s’élève jusqu’à la proportion de 25 sur 100 ; et chaque année, l’insuffisance des secours chasse des troupeaux d’émigrans jusque dans les états de l’Union américaine, déjà bien souffrante elle-même de toutes les infirmités de la vieille Europe.

Mais ce fléau bizarre qui, à l’opposé des autres, grossit les populations et multiplie les malheureux, le paupérisme, afflige particulièrement la contrée d’où son nom nous est venu, l’Angleterre. Les témoignages privés paraîtraient suspects s’ils n’étaient confirmés par des documens officiels, comme M. Naville a pris soin de le faire. La taxe, nous dit-il, absorbe aujourd’hui un sixième du revenu net des propriétés immobilières. Calculée par tête, en raison de la population, elle est double de ce qu’elle était en 1780, et un tiers à peu près de la nation anglaise fait valoir des droits à la charité publique. Le plus fâcheux est que cette charge, dont nous donnons ici la moyenne, est variable selon les hasards de la population, de sorte que, légère en certains endroits, elle devient intolérable en plusieurs autres. Ainsi, le rapport de ceux qui reçoivent à ceux qui donnent, était, en 1831, des quatre cinquièmes à Manchester, et des