Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/640

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
636
REVUE DES DEUX MONDES.

heure l’orgueil du poète, le déprave et l’étourdit si bien, qu’il ne peut plus se recueillir en lui-même et s’interroger sincèrement sur la portée de ses projets. Au milieu du bourdonnement des louanges, il n’a plus qu’un seul sentiment, celui de sa grandeur ; il devient incapable de réflexion et de prévoyance. Avant même de se mettre à l’œuvre, son premier mouvement est de s’admirer ; avant même d’avoir noué la fable de son poème, avant d’avoir posé ses personnages, il se complimente, et se sait bon gré de ce qu’il va faire ; et, dans cette rêverie complaisante, il est si heureux, si content de lui-même, qu’il serait presque tenté de ne pas risquer l’exécution de sa pensée ; car son bonheur est, dès à présent, complet.

Au milieu de cette cohue, que deviennent ses amis ? Leur voix se fait-elle entendre parmi ces voix confuses ? Ils prennent le seul parti sage : ils se taisent et regardent.

Peu à peu le poète s’habitue aux flatteries de la foule ; il règne sans contrôle, et ne reconnaît plus d’autre loi que son seul caprice. Il renonce à l’analyse et à la discussion qui, autrefois, remplissaient les heures les plus sereines de sa journée ; il ne sait plus, comme à ses débuts, se reposer de l’inspiration dans les épanchemens d’une amitié franche et hardie. Ce qu’il veut et ce qu’il aime, c’est une multitude obéissante et empressée, qui ne réponde jamais que par un sourire d’admiration, qui lui permette en toute occasion le déroulement paisible et ininterrompu d’un monologue souverain. Les objections les plus timides seraient pour lui maintenant plus qu’une contrariété, presque autant qu’une injure. Le doute qui se hasarderait jusqu’à l’interrogation serait à ses yeux une faute impardonnable. Sur le trône absolu où il est assis, il n’écoute, il n’entend que lui-même, et s’il lui arrive de jeter les yeux sur les visages muets dont il est entouré, ce n’est que pour y voir le reflet de sa pensée, pour s’admirer dans tous ces regards où se peint l’extase. Vainement l’amitié courageuse essaierait de le rappeler à la clairvoyance, et de recommencer les conversations oubliées ; vainement essaierait-elle de ramener le poète à la tolérance, à l’impartialité de ses premières années ; il est trop tard maintenant pour tenter la guérison du malade ; ou du moins la guérison présente des difficultés sans nombre. Dans la voie où il est entré, l’amitié ne serait pas inutile ; mais comment parviendrait-elle jusqu’à lui ? Com-