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REVUE — CHRONIQUE.

Moniteur sur l’ordre du jour du général Lebeau. Et ce fut pendant plusieurs jours un fort singulier spectacle que celui de cette petite guerre entre les deux fractions du conseil, par le moyen de deux journaux qui devaient appartenir également à la majorité du cabinet. Elle amusa la malignité du public, et n’était pas, il faut le dire, très constitutionnelle. Mais c’est un point sur lequel nous aurions tort d’être bien difficiles ; car en matière plus grave, tout ce qui s’est passé n’est au fond rien moins que constitutionnel, et dans les régions élevées du pouvoir on n’y fait pas assez attention. Quant à la rectification de l’ordre du jour du général Lebeau, elle était juste ; le général Lebeau n’était pas au service de la France, et ne tenait pas du roi son commandement et son titre. Mais en relevant une simple inexactitude, on annonçait la résolution de ne pas donner suite aux mesures qui avaient reçu un commencement d’exécution par l’entrée en Espagne de cet officier supérieur et des troupes qu’il commandait. Nous croyons que c’était une faute. Il suffisait de ne pas leur envoyer de renforts ; et en déclarant aussi formellement qu’on les abandonnait à leurs propres forces, on s’exposait à décourager officiers et soldats. L’article du Moniteur était au moins inutile, s’il n’était dangereux.

Si notre exposition des causes qui ont amené la dissolution du ministère est complète, la formation du nouveau cabinet sera donc une déclaration solennellement faite à l’Espagne et à l’Europe, que le traité de la quadruple alliance n’existe plus, que le triomphe de don Carlos est indifférent à la France, et que le gouvernement de la révolution de juillet ne voit plus aux prises dans la Péninsule que deux causes également étrangères à ses sympathies. Nous croyons, pour notre compte, que le règne de la constitution de 1812, inauguré comme il l’a été par de sanglans désordres, a changé la position de la France vis-à-vis de l’Espagne. Personne ne le nie, et les ministres démissionnaires le reconnaissaient hautement, puisqu’ils s’étaient réduits à demander le maintien d’une attitude expectante. Mais est-il bien possible qu’un ministère quelconque accepte dans toute son étendue la situation que lui fait le motif avoué de la retraite du cabinet présidé par M. Thiers ? et s’il ne l’accepte pas, quelle sera donc la signification d’un évènement aussi grave ? Faudra-t-il croire à des influences souterraines qu’on n’oserait pas avouer, à d’obscures intrigues, à l’existence de questions toutes personnelles sous le masque d’une question de principes ? La presse, qui s’est beaucoup occupée de la dissolution du cabinet, et qui en a donné des explications diverses, a-t-elle tout dit ? Les mieux informés pouvaient-ils tout dire ? C’est ce que nous n’oserions affirmer.

Une partie de la presse s’est prononcée hautement contre tout projet d’intervention française en Espagne, même sous la forme d’une coopération indirecte. Elle a dit que l’intervention était une arme à deux tranchans, qui pouvait frapper à droite et à gauche, et elle s’est défiée du bras qui devait la manier. Assurément ce n’est point par sympathie pour don Carlos ; elle ne croit pas et désire encore moins qu’il aille à Madrid détrôner la révolution et rétablir l’inquisition avec les moines. Mais elle a plus de confiance que nous dans l’élan de la nation espagnole ; elle croit