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associations républicaines. D’autre part, une censure sévère interdisait aux écrivains la peinture libre des choses présentes ; quels portraits de mœurs ou quelles satires, mêmes les plus douces, auraient été tolérés sur un théâtre où Germanicus était défendu ? En troisième lieu, la cassette royale, ouverte à quelques gens de lettres, avait justement récompensé en eux des talens remarquables, mais en même temps des opinions religieuses et monarchiques. Ces deux grands mots, la religion et la monarchie, étaient alors dans leur toute-puissance ; avec eux seuls il pouvait y avoir succès, fortune et gloire ; sans eux, rien au monde, sinon l’oubli ou la persécution. Cependant la France ne manquait pas de jeunes têtes qui avaient grand besoin de se produire et la meilleure envie de parler. Plus de guerre, partant beaucoup d’oisiveté ; une éducation très contraire au corps, mais très favorable à l’esprit, l’ennui de la paix, les carrières obstruées, tout portait la jeunesse à écrire ; aussi n’y eut-il à aucune époque le quart autant d’écrivains que dans celle-ci. Mais de quoi parler ? Que pouvait-on écrire ? Comme le gouvernement, comme les mœurs, comme la cour et la ville, la littérature chercha à revenir au passé. Le trône et l’autel défrayèrent tout ; en même temps, cela va sans dire, il y eut une littérature d’opposition. Celle-ci, forte de sa pensée, ou de l’intérêt qui s’attachait à elle, prit la route convenue, et resta classique ; les poètes qui chantaient l’empire, la gloire de la France ou la liberté, sûrs de plaire par le fond, ne s’embarrassèrent point de la forme. Mais il n’en fut pas de même de ceux qui chantaient le trône et l’autel ; ayant affaire à des idées rebattues et à des sentimens antipathiques à la nation, ils cherchèrent à rajeunir, par des moyens nouveaux, la vieillesse de leur pensée ; ils hasardèrent d’abord quelques contorsions poétiques, pour appeler la curiosité ; elle ne vint pas, ils redoublèrent. D’étranges qu’ils voulaient être, ils devinrent bizarres, de bizarres baroques, ou peu s’en fallait. Mme de Staël, ce Blücher littéraire, venait d’achever son invasion, et de même que le passage des Cosaques en France avait introduit dans les familles quelques types de physionomie expressive, la littérature portait dans son sein une bâtardise encore sommeillante. Elle parut bientôt au grand jour ; les libraires étonnés accouchaient de certains enfans qui avaient le nez allemand et l’oreille anglaise. La superstition et ses légendes, mortes et enterrées depuis long-temps, profitèrent