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LA PRESSE EN ANGLETERRE.

Pour prévenir la fraude, on avait imaginé un expédient bizarre, mais qui était tout-à-fait dans les mœurs anglaises. Chaque journal devait porter un timbre particulier marqué de son nom, le sceau de la propriété dans les choses de l’esprit. Cette clause, proposée par M. Grote, au nom du parti radical, et insérée dans le bill du consentement du ministère, ne fait pas partie de la loi, telle que le parlement l’a votée après les amendemens introduits par les lords.

La presse non timbrée n’a pas produit un seul journal quotidien. Pour lutter avec les feuilles établies, il eût fallu des capitaux considérables, capitaux qu’aucun Anglais ne voudrait aventurer dans une industrie placée hors la loi ; mais il est plus facile de faire concurrence aux feuilles du dimanche, espèce de compilations que l’on arrange souvent avec quelques coups de plume, et à force de ciseaux, et pour lesquelles on n’a pas besoin de se mettre en frais de correspondances à l’étranger ni d’organiser à l’intérieur une escouade de reporters[1]. La presse hebdomadaire s’adresse au peuple, et la feuille la plus populaire, à mérite égal, sera toujours celle qui remplira le mieux la condition du bon marché. Les journaux non timbrés se vendent quatre sous (two pence), les journaux timbrés quatorze ; si quelque chose doit nous étonner, c’est que ceux-ci n’aient pas été entièrement étouffés par une concurrence aussi redoutable, et contre laquelle la loi les laissait à peu près désarmés.

Cette presse de contrebande a la prétention de parler un langage plus poli et plus digne que celui de la presse légale, et elle n’a pas de grands efforts à faire pour y réussir. Elle cherche du reste à amuser le peuple plutôt qu’à l’instruire ; les comptes-rendus des assises et des tribunaux de police, les histoires dramatiques, les meetings radicaux, fournissent le fond ; quelques déclamations passionnées contre la chambre des lords ou contre Louis-Philippe complètent le journal. Cette langue démocratique nous semblerait étrange et presque inintelligible. Pour en donner un exemple, le Radical, ayant à faire l’apologie d’Alibaud, ne vit rien de mieux que de remonter à Harmodius et à Aristogiton, en imprimant, pour l’édification des ouvriers anglais, le texte grec de l’ode composée en l’honneur des meurtriers d’Hippias ;

  1. Pour rédiger les comptes-rendus des séances du parlement, chaque journal quotidien emploie quatorze ou quinze reporters, et dépense 3,000 livres sterling par session (75,000 fr.)