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s’embrasser, puis ils s’asseoient sur une pierre et se racontent les nouvelles du pays. Celui qui vient de l’intérieur sait si la pêche est bonne, si les chevaux ne sont pas malades. Celui qui vient de Reykiavick est un personnage important. Il sait le prix courant des marchandises, et quel est le marchand danois le plus accommodant. Il sait ce qu’on pense de la paix et de la guerre, ce que fait l’évêque et ce que dit le gouverneur. Il répète de point en point tout ce qu’il a appris, et voilà le journal en plein air, la gazette officielle de l’Islande.

Ce qui varie à chaque instant le paysage dans une contrée où il n’y a ni forêts, ni champs de blé, ni prairies, ce sont les montagnes qui tantôt étendent leur longue chaîne jusqu’au bord de la mer, tantôt s’élèvent par grandes masses comme des forteresses, ou s’élancent dans les nues comme des flèches de cathédrale. Leur couleur change sans cesse, selon le ciel qui les couvre, et l’heure à laquelle on les observe. Le matin on les voit surgir comme des vagues bleues au-dessus de l’horizon ; le soir, le soleil les inonde de ses rayons, et les fait resplendir comme des dômes dorés. Souvent après une longue journée de marche, soit par un effet de mirage, soit par l’effet de notre imagination, nous voyions ces montagnes se dessiner devant nous comme les remparts qui entourent une ville de guerre, et oubliant qu’il n’y a dans ce pays ni ville ni remparts, nous avancions avec un indicible mélange de joie et d’inquiétude. Déjà nous distinguions la pointe des clochers, le faîte des maisons ; il nous semblait entendre la rumeur de la foule, quand tout à coup notre cheval allait se heurter contre une pierre, et nous n’apercevions plus devant nous qu’une masse de lave.

Du sommet de ces montagnes nous redescendions dans les champs de sable volcanique, le long des grandes rivières que nos chevaux traversaient à la nage, ou sur la grève, auprès des baies où viennent aborder le bateau pêcheur et le navire marchand, et chacun de ces changemens de site nous offrait un nouveau tableau et de nouvelles impressions. Un matin nous côtoyions ainsi les bords de la mer. Les vagues se déroulaient sur la grève comme des nappes d’argent, et venaient baigner les pieds de nos chevaux. Un peu plus loin elles s’élançaient avec impétuosité contre une ligne de brisans, et faisaient jaillir dans l’air des gerbes d’eau perlée, des flots d’écume étincelans. Toute la plage était déserte, mais l’hirondelle, dans son vol gracieux, rasait du bout de l’aile les vagues du rivage, et l’on voyait briller au-dessus de l’eau les yeux chatoyans du phoque, cette meermaid du moyen-âge. À quelque distance de là s’élevait la chapelle en bois construite sur la dune. C’était un dimanche. Les pêcheurs, réunis autour du prêtre, avaient entonné leur chant religieux, et ce chant arrivait à notre oreille comme le son d’une voix plaintive et solennelle,