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la connaissance de tout le monde qu’il était lui-même battu, enveloppé de toutes parts, et sur le point de capituler, quand le général Téran arriva à son secours. C’est alors seulement que Barradas, qui avait la moitié de ses soldats malades, que la tempête avait privé de ses vivres et de ses approvisionnemens, et qui de plus avait reçu de faux renseignemens, fut obligé de céder. Aussi ambitieux qu’incapable, Santa-Anna a servi tous les partis pour arriver à son but. Les liberales l’ont fait président, mais comme ils ne peuvent et ne veulent pas faire davantage, il s’est donné aux aristocrates et aux moines, dans l’espérance que ceux-ci lui décerneront le titre d’empereur. Naguère il défendait la liberté, maintenant il se proclame le restaurateur de la religion, le protecteur du clergé. Les libéraux l’appelaient le Mars mexicain, le mettaient au-dessus de Washington, de Napoléon ! Ils faisaient de lui les apologies les plus exagérées et les plus ridicules ; aujourd’hui les jésuites des Cordilières ne voient plus en lui qu’un nouveau David, suscité de Dieu pour la conservation et le salut de la ville sainte ; c’est un Gédéon, un Macchabée. Notre héros les croit tous sur parole. En attendant qu’on lui élève un trône (et peut-être plus tard un échafaud !), il s’enivre à longs traits de l’encens qu’on lui prodigue, et reçoit d’un air bénin les flagorneries des moines, des abbés et des abbesses. Celles-ci l’introduisent dans le harem du Seigneur, où il va manger des bonbons avec les filles du sanctuaire. Il est devenu bigot, mais bigot de bonne foi. À une grande incapacité militaire il joint la lâcheté personnelle ; on l’a vu, pendant une bataille, se coucher à plat ventre derrière un mur. La vie privée de l’illustre général n’est guère plus honorable que sa vie politique. Enfant bâtard d’un Espagnol, il n’a même pas reçu la misérable éducation qu’on donne au Mexique à la gente décente ; sa jeunesse, il l’a passée dans des maisons de débauche et de jeu, où il lui est souvent arrivé de laisser jusqu’à ses premiers vêtemens. Très passionné pour les femmes et le jeu, et n’étant pas riche, il a eu recours bien des fois, pour faire face à des embarras pécuniaires, à certains expédiens qui, dans une autre nation, l’eussent infailliblement envoyé servir sur les galères du roi. Il fit deux faux pour des sommes assez considérables. Ces petites espiègleries lui attirèrent quelques démêlés avec la justice ; mais comme, au Mexique, la justice est fort indulgente, cela n’eut pas de suites fâcheuses pour lui. Tels ont été les