Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
17
LA DERNIÈRE ALDINI.

fond étonnement, qui ne cessa pas même lorsqu’elle eut fini. Cette noblesse de cœur, cette hardiesse de pensée, cette force d’esprit, cette audace virile, mêlée à tant de sensibilité féminine ; tout cela, réuni dans une fille si jeune, élevée au milieu de l’aristocratie la plus insolente, me causa une vive admiration, et je ne sortis de ma surprise que pour passer à l’enthousiasme. Je fus sur le point de céder à mes transports, et de me jeter à ses genoux pour lui dire que j’étais heureux et fier d’être aimé d’une femme comme elle ; que je brûlais pour elle de la plus ardente passion, que je serais joyeux de donner ma vie pour elle, et que j’étais prêt à faire tout ce qu’elle voudrait. Mais la réflexion m’arrêta à temps, et je songeai à tous les inconvéniens, à tous les dangers de la démarche qu’elle voulait tenter. Il était très probable qu’elle serait refusée et sévèrement réprimandée ; et quelle serait alors sa position, après s’être échappée de chez sa tante, pour faire, publiquement avec moi, un voyage de quatre-vingts lieues ? Au lieu donc de m’abandonner aux mouvemens tumultueux de mon cœur, je m’efforçai de redevenir calme, et au bout de quelques secondes de silence, je dis tranquillement à la signora : — Mais votre famille ?

— Il n’y a au monde qu’une seule personne à qui je reconnaisse des droits sur moi, et dont je craindais d’encourir la colère, c’est ma mère ; et, je vous l’ai dit, ma mère est bonne comme un ange, et m’aime par-dessus tout. Son cœur consentira.

— Ô chère enfant ! m’écriai-je alors en lui prenant les mains, que je serrai contre ma poitrine, Dieu sait si ce que vous voulez faire n’est pas le but de tous mes désirs. C’est contre moi-même que je lutte quand je cherche à vous arrêter. Chaque objection que je vous fais est un espoir de bonheur que je m’enlève, et mon cœur souffre cruellement de tous les doutes de ma raison. Mais c’est de vous, mon cher ange bien-aimé, c’est de votre avenir, de votre réputation, de votre bonheur qu’il s’agit pour moi avant toutes choses. J’aimerais mieux renoncer à vous que de vous voir souffrir à cause de moi. Ne vous alarmez donc pas de tous mes scrupules, n’y voyez pas l’indice du calme ou de l’indifférence, mais bien la preuve d’une tendresse sans bornes. Vous me dites que votre mère consentira, parce que vous la savez bonne. Mais vous êtes bien jeune, mon enfant ; malgré votre force d’esprit, vous ne savez pas quelles bizarres alliances se font souvent entre les sentimens les plus opposés. Je crois tout ce que vous me dites de votre mère ; mais savez-vous si son orgueil ne luttera pas contre son amour pour vous. Elle croira peut-être, en empêchant votre union avec un comédien, remplir un devoir sacré.