Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
222
REVUE DES DEUX MONDES.

nature même de cet épisode, si le poète tentait de l’encadrer dans les souvenirs de l’antiquité grecque. Cependant André Chénier, plein de la lecture des poètes antiques, n’a pas craint de tenter ce qui, sans doute, quelques années plus tard, lui eût semblé contraire aux lois du goût et de la raison. Au lieu de célébrer le courage civil, et d’associer au simple récit d’une résistance héroïque les sentimens éveillés dans son ame par le souvenir du serment qu’il voulait chanter, il semble s’être efforcé d’effacer la couleur de son sujet. Il parle de Délos et de Latone, d’Apollon et de Diane, comme si l’histoire n’était pas cent fois plus éloquente et plus riche en émotions que toutes ces comparaisons lointaines et laborieuses. Si le rapprochement était indiqué avec brièveté, je ne le blâmerais pas, et même j’insisterais sur l’ingénieuse opposition des deux termes que le poète a choisis ; encadré dans une multitude de rapprochemens du même ordre, je ne puis l’accepter, et je déclare en toute franchise, malgré la vive admiration que je professe pour André Chénier, qu’il me paraît avoir complètement méconnu le genre d’images qui convenait au serment du jeu de paume.

Le rhythme de cette pièce échappe à toute définition, c’est un mélange singulier de mesures diverses ; mais ce mélange est conçu de telle sorte que l’œil et l’oreille sont à chaque instant déroutés. À proprement parler, il n’y a ni strophes, ni stances ; seulement la pièce est divisée en morceaux de dix-neuf vers, et, sans les chiffres qui marquent cette division, le lecteur ne saurait où faire une pause. Mieux vaudrait assurément l’ampleur monotone de l’alexandrin que ce perpétuel changement de mesure qui ne réussit pas à se régulariser en se répétant vingt-deux fois ; car l’alexandrin, malgré son uniformité apparente, peut, entre les mains d’un poète habile, s’assouplir et se varier. Mais dès que l’auteur tentait autre chose que le récit du serment, le sujet semblait naturellement appeler la strophe pindarique ; car jamais aucune des victoires célébrées par le lyrique Thébain ne s’offrit sous un aspect plus digne et plus majestueux. La strophe était la forme naturelle et nécessaire qu’André Chénier devait adopter. S’il se fût arrété à ce dernier parti, je suis sûr qu’il eût rencontré la clarté, et que toute la pièce eût été inondée d’une lumière pure et abondante. Telle qu’elle est, l’obscurité n’est pas son seul défaut, mais elle est assurément le plus évident de tous. À travers les nombreux ambages du rhythme indéfinissable que l’auteur a choisi, l’esprit trébuche à chaque pas et ne sait où finit, où commence la pensée de l’auteur. Arrivé au deux-centième vers, le lec-