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REVUE. — CHRONIQUE.

sur cet étroit, mais étincelant théâtre de la gloire athénienne, sont depuis deux mille ans les phares inextinguibles dont l’humanité a suivi la lumière. Dans les siècles de ténèbres et d’obscure organisation, ils ont l’un et l’autre éclairé la marche religieuse et scientifique des générations incertaines. C’est que l’un et l’autre ils s’étaient partagés le monde de la pensée. C’est qu’Aristote, spiritualiste autant que Platon, avait cependant donné au spiritualisme de son maître le sage contrepoids de la réalité et de l’observation scientifique, dont plus tard d’autres écoles devaient faire exagération et abus. Une voix éloquente a pu dire qu’ils étaient l’un et l’autre comme « les deux pôles de l’intelligence humaine. » L’histoire de la philosophie est là pour attester que c’est entre ces deux limites extrêmes touchées par Aristote et Platon, que doivent osciller tous les systèmes qui aspirent à rendre compte de cette grande énigme du monde et de la pensée, de la nature et de l’homme, de la raison et de la sensibilité. À aucune époque, l’une de ces deux magnifiques synthèses n’a reparu sans que l’autre, par une sorte d’équilibre inévitable, ne reparût à son tour. L’esprit humain porte en lui ces deux solutions du problème ; mais la loi même de son unité fait, que du moment où l’une semble menacer de devenir exclusive, l’autre aussitôt se produit, pour tempérer ce que pourrait avoir d’excessif la prédominance de la solution opposée. Dans la réalité, dans l’essence même des choses, les deux solutions coexistent, ou pour mieux dire elles n’en forment qu’une. Comprendre cette grande unité, dans son infinie variété, s’en rendre compte dans ses genres essentiels, dans ses manifestations complexes, tel a été l’objet permanent, toujours nouveau, que les siècles ont cherché dans leurs incessantes méditations. Tel est l’objet des méditations du nôtre. Dans cette investigation à la fois si vieille et si jeune, et pour parler comme Aristote, toujours actuelle, appuyons-nous, messieurs, sur ces deux génies tutélaires qui peuvent encore aider notre âge, après en avoir aidé tant d’autres. Il n’en fut jamais de plus grands. Les vénérer pieusement, avouer tout ce que leur doit la pensée moderne, ne peut coûter ni à notre reconnaissance ni à notre impartialité historique. Les étudier, ne peut coûter davantage à notre amour-propre qui n’est après tout qu’une juste confiance aux forces que nous nous sentons.

Quant à moi, messieurs, je suis heureux que des travaux indépendans et solitaires m’aient amené à ces graves études, au moment où les efforts de la philosophie contemporaine, où l’impulsion régénératrice donnée aux études philosophiques, où les besoins mêmes de l’esprit de mon temps, manifestés par l’un des grands corps qui représentent la science nationale, semblent conspirer tous à la fois pour atteindre ce noble but. Ma destinée philosophique n’aura point été perdue, si je puis, en m’associant à eux, contribuer, pour ma part, à ce grand résultat.


Barthélemy Saint-Hilaire.