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DE LA CHEVALERIE.

ber. En un mot, tout, dans ces rapports guerriers, respire la plus aimable courtoisie ; nul sentiment de haine n’existe entre les deux peuples ; il y a au contraire respect mutuel et souvent bons offices réciproques. La plus brillante tribu parmi les Maures de Grenade, celle des Abencerrages, est célèbre par sa charité pour les captifs chrétiens ; et quand la tribu de Gomez, ennemie des Abencerrages, les accuse à ce sujet, ils répondent que les chrétiens en font autant pour les musulmans prisonniers. Malgré cette harmonie et cette bonne intelligence des deux chevaleries, on reconnaît toujours les caractères particuliers à chacune d’elles. Ainsi les maures ont bien, comme les chrétiens, des joûtes à fer aigu et souvent mortelles ; mais les joûtes véritablement mauresques, ce sont les jeux de bagues et le divertissement des cannes (la fiesta de las canas). L’élégant jeu de bague consistait à enlever, au grand galop du cheval, des anneaux suspendus à un arbre. Nous en voyons chaque jour la parodie dans un amusement très vulgaire. La course des cannes était une sorte de tournoi dans lequel les lances étaient remplacées par de longs roseaux ; on ne pouvait donc se faire aucun mal, et ce n’était qu’une occasion de montrer l’agilité des chevaux et l’adresse des cavaliers. C’est le djerrid encore en usage chez les Turcs de Constantinople.

À Grenade, la chevalerie mauresque n’a pu rien prêter à la chevalerie chrétienne ; au contraire, elle s’est évidemment formée d’après elle. La chevalerie chrétienne n’a pu rien emprunter à la chevalerie grenadine, car elle ne lui a pas survécu, et la fin du XVe siècle, qui vit la destruction du royaume des Maures, a vu la chevalerie mourir en Europe. Cette période brillante de Grenade n’a donc pu être une inspiration de la chevalerie, car elle fut son dernier souffle.

Pour achever de déterminer le rôle que, dans ma pensée, jouent les différens élémens dont se compose la chevalerie : l’élément chrétien, l’élément germanique, l’élément romain et l’élément arabe ; qu’on me permette d’employer une métaphore et de me représenter la chevalerie comme un grand arbre : sa racine est chrétienne ; le sol dans lequel elle plonge est le christianisme, base de la civilisation moderne ; le tronc, les branches et la sève qui les anime sont germaniques. Ce tronc et ces branches ont été comme engourdis, comme recouverts d’une croûte glacée qui, pour un temps, a suspendu et paralysé la végétation, qui a engourdi la sève dans les rameaux, et cela pendant les siècles qui ont suivi la conquête germanique et par un effet de cette conquête. Pour que la sève, qui était au cœur de l’arbre, circulât