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RÉPONSE À GEORGE SAND.

versaire, c’est-à-dire une position avantageuse et l’aiguillon du combat.

En France moins qu’ailleurs on ne saurait oublier ou méconnaître ces faits, car c’est surtout parmi nous que la philosophie moderne a été militante, et qu’elle a prouvé aux moins clairvoyans sa puissance et sa force par de victorieux résultats. Dans quelles préoccupations évangéliques et chrétiennes s’étaient donc perdus vos souvenirs, madame, quand vous m’avez demandé des nouvelles de la philosophie moderne ? Vous n’aviez donc plus en mémoire les traditions de la raison française depuis Abailard jusqu’à Condorcet, depuis le contemporain de la révolution communale du xiie siècle jusqu’à l’homme qui, dans l’intervalle de sa proscription et de sa mort, esquissait une théorie des progrès de l’esprit humain ? Croyez-moi, ne séparez pas la cause de la liberté de la cause philosophique, et cherchez toujours dans la science et les idées la cause légitime des conquêtes et des droits politiques.

Je n’ignore pas, madame, qu’il est de mode aujourd’hui de mettre dans tout un peu de christianisme. On est engoué de la couleur chrétienne, on raffole du principe chrétien. Si un poète dramatique met en scène un empereur romain qui a commencé à régner quatre ans après la mort de Jésus-Christ, il assaisonnera son drame païen d’une conversion au christianisme, à une époque où les disciples peu nombreux du Christ n’étaient que des juifs dissidens et ne s’appelaient pas encore chrétiens. Ce n’est pas tout : un journal éminemment religieux, la Gazette de France, présentera cette scène à ses lecteurs comme un hommage public rendu par l’esprit du siècle à la religion catholique. Dans beaucoup de romans, les héros, aujourd’hui, sont chrétiens ; je me trompe, ils sont eux-mêmes des Christ méconnus, persécutés. Si un homme a échoué dans une conspiration politique, c’est un Christ ; si tel autre n’a pu parvenir à se faire un nom dans les lettres ou dans les arts, c’est encore un nouveau Christ que l’impiété du siècle crucifie. D’autres écriront avec un aplomb merveilleux que l’humanité n’existe que par le christianisme, qu’il n’y a rien avant lui ni hors de lui, s’embarrassant peu de l’espace et du temps dans leurs jugemens historiques. Cette manie ne durera pas, le bon sens public nous en est garant ; mais il ne faut pas que, même en passant, elle effleure les esprits sérieux et solides. Ayons pour le christianisme le respect qu’il mérite, mais restons fidèles à la cause de la raison et de la philosophie ; sachons poser et traiter les questions sociales avec netteté ; distinguons les principes, ne mettons pas l’étiquette du chris-