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milé les derniers qu’elle avait attirés à elle-même, elle aurait eu, je crois, ce que ne peut avoir chose humaine, le privilége de ne pas finir. Mais si la conquête de l’Italie avait été lente, celle du monde alla vite : Rome se trouva tout à coup accablée par le poids de ses triomphes, envahie par la multitude de ses vaincus, noyée dans ce déluge de peuples qui venaient se perdre dans son empire. De là ses agitations et sa décadence : la démocratie des Gracques, les guerres civiles, César et l’empire ; sous l’empire, tout le système de la république réduit à des formes vides ; le sénat, l’ordre équestre, les tribus, les gentes, livrés à des étrangers qui n’en avaient pas l’intelligence ; la tradition des sacrifices domestiques perdue, la noblesse et la pureté des familles altérées ; la Rome antique et pontificale profanée par cette première invasion des Barbares, aussi réelle, quoique moins évidente que la seconde. Tout l’ordre des noms est détruit, le prénom abandonné comme la toge, le nom de la gens confondu avec celui de la famille, les noms d’adoption, les noms grecs, les noms barbares, mêlés à tout cela ; la clé de ce système, la censure, conservatrice des anciennes choses et des anciennes mœurs, tombe bien vite en oubli. Auguste, dans son travail pour le rétablissement de la nationalité romaine, n’ose pas la relever ; « le temps de la censure, est passé, » dit Tibère.

Claude aimait la vieille Rome moins en politique qu’en antiquaire. Pendant qu’il étudiait le livre des Saliens ou la chanson des frères Ambarvaux, pendant qu’en plein Forum, pour mieux assurer la foi d’un traité, il tuait une malheureuse truie et renouvelait les antiques cérémonies des Féciaux ; qu’à la nouvelle d’un tremblement de terre, il ordonnait un jour de repos, et à la vue d’un oiseau sinistre, des prières publiques, le tout selon les anciens rits, l’idée lui vint de reprendre en main l’arme rouillée de la censure. Il s’était déjà efforcé de rendre plus noble et plus rare la qualité de Romain que ses prédécesseurs avaient vendue à qui la voulait acheter ; il l’avait ôtée à un député de je ne sais quelle ville d’Asie qui ne savait pas le latin ; à ceux qui la prenaient indûment, il faisait tout simplement trancher la tête, pendant que, sans s’en douter, au gré de ses affranchis et de Messaline, il distribuait, par milliers, des diplômes de citoyen, et que le prix en était tombé si bas, qu’on en avait un, dit Sénèque, pour un verre cassé. Il avait aussi tâché d’endoctriner son peuple sur les inconvéniens du célibat et les bénéfices de la paternité, vieille manie d’Auguste qui voulait marier les gens par ordonnance et repeupler l’Italie de par la loi. Claude, en donnant congé à un gladiateur dont les quatre