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ŒUVRES D'HISTOIRE NATURELLE DE GOËTHE.

le total général est fixé ; mais elle est libre d’affecter les sommes partielles à telle dépense qu’il lui plaît : pour dépenser d’un côté, elle est forcée d’économiser de l’autre. C’est pourquoi la nature ne peut jamais ni s’endetter ni faire faillite. » Ce que dit Goëthe est parfaitement juste ; une circonscription borne partout la nature. Il ne lui est pas loisible de créer des formes arbitraires, indépendantes ; tout se tient dans ses productions. Elle ne peut mettre ici l’homme, là le cheval, organisé tout différemment, là l’éléphant, troisième composition, sans analogie avec les précédentes. Non : ce qui la lie, c’est la similitude des formes dans les mêmes classes, et la nécessité d’une évolution quand elle passe d’une classe à l’autre.

Par une suite des lois physiques qui régissent les choses, nos sens, qui sont autant de portes ouvertes sur le monde, nous induisent dans de perpétuelles erreurs si nous ne les rectifions pas aussi bien par leur contrôle mutuel que par la raison. La Fontaine a dit :

La nature ordonna ces choses sagement ;
J’en dirai, quelque jour, les raisons amplement.
J’aperçois le soleil. Quelle en est la figure ?
Ici-bas ce grand corps n’a que trois pieds de tour ;
Mais si je le voyais là-haut, dans son séjour,
Que serait-ce à mes yeux que l’œil de la nature ?
Sa distance me fait juger de sa grandeur ;
Sur l’angle et les côtés ma main la détermine.
L’ignorant le croit plat ; j’épaissis sa rondeur,
Je le rends immobile, et la terre chemine.

Ce que La Fontaine dit du soleil se présente pour toute chose ; ce monde est un mirage où les objets prennent sans cesse une forme différente de leur forme réelle. Il en est de la vie de l’espèce comme de la vie de l’enfant. L’enfant qui vient au monde ne voit pas la lumière la plus vive, n’entend pas le son le plus fort ; plus tard, il commence à entendre et à voir, mais sans précision, sans habileté, sans science, si je puis m’exprimer ainsi. Enfin, ce n’est qu’un long exercice qui lui apprend à juger ce que veulent dire les impressions qu’il reçoit. Ainsi est le genre humain dans son développement successif. La terre est d’abord la limite de son univers ; le ciel touche la montagne voisine ; il croit que tout ce qu’il voit et entend est conformé comme il le voit et comme il l’entend. Apprendre à voir et à connaître est aussi bien l’affaire du genre humain qui se développe que celle de l’enfant qui s’élève.