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CONGRÈS DE VÉRONE.

ce pays, les représailles sont naturelles. Les batailles de Baylen, la défense de Girone et de Ciudad-Rodrigo annoncent la résurrection d’un peuple là où l’on n’avait vu qu’un tas de mendians. La Romana, du fond de la Baltique, ramène ses régimens en Espagne, comme autrefois les Francs, échappés de la mer Noire, débarquèrent triomphans aux Bouches-du-Rhin. Vainqueurs des meilleurs soldats de l’Europe, nous versions le sang des moines avec cette rage impie que la France tenait des bouffonneries de Voltaire et de la démence athée de la terreur. Ce furent pourtant ces milices du cloître qui mirent un terme aux succès de nos vieux soldats : ils ne s’attendaient guère à rencontrer ces enfroqués à cheval comme des dragons de feu sur les poutres embrasées des édifices de Saragosse, chargeant leurs escopettes parmi les flammes, au son des mandolines, au chant des boleros et au requiem de la messe des morts. Les ruines de Sagonte applaudirent.

Napoléon rappela le grand-duc de Berg : entre Joseph, son frère, et Joachim, son beau-frère, il lui plut d’opérer une légère transmutation : il prit la couronne de Naples sur la tête du premier et la posa sur la tête du second ; celui-ci céda à celui-là la couronne d’Espagne. Bonaparte enfonça d’un coup de main ces coiffures sur le front des deux nouveaux rois, et ils s’en allèrent, chacun de son côté, comme deux conscrits qui ont changé de schako par ordre du caporal d’équipement.

Quand on raisonne sur l’Espagne aujourd’hui, on tombe dans une grande erreur, on s’obstine à juger ses peuples d’après les idées que l’on a des autres peuples civilisés. Napoléon partagea cette déception commune, il crut qu’il vaincrait l’Ibérie, comme la Germanie, par violence et séduction ; il se trompa.

Les Espagnols sont des Arabes chrétiens ; ils ont quelque chose de sauvage et d’imprévu. Le sang mélangé du Cantabre, du Carthaginois, du Romain, du Vandale et du Maure, qui coule dans leurs veines, ne coule point comme un autre sang. Ils sont à la fois actifs, paresseux et graves. « Toute nation paresseuse, dit l’auteur de l’Esprit des lois en parlant d’eux, est grave, car ceux qui ne travaillent pas se regardent comme souverains de ceux qui travaillent. »

Les Espagnols, ayant la plus haute idée d’eux-mêmes, ne se forment point du juste et de l’injuste les mêmes notions que nous. Un pâtre trans-pyrénéen, à la tête de ses troupeaux, jouit de l’individualité la plus absolue.

Dans ce pays, l’indépendance nuit à la liberté. Que font les droits