Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
133
REVUE. — CHRONIQUE.

tention, d’obtenir les suffrages du public sérieux. La fable de Prométhée a survécu au paganisme ; c’est l’humanité même qui est personnifiée dans le prophète antique, et, comme l’a dit M. Quinet, ce drame divin ne finira jamais. Les reproches qu’on pourrait adresser à une imitation irréfléchie de la poésie païenne, ne sauraient donc convenir à l’œuvre de M. Quinet. Avant lui Caldéron, Racine, Goëthe, Shelley, ont donné une ame nouvelle aux statues sorties des mains divines de Sophocle et d’Eschyle. L’œuvre de Caldéron, la tragédie de Shelley, la Phèdre de Racine et l’Iphigénie de Goëthe, sont rangées, d’un aveu unanime, parmi les conceptions les plus élevées de la poésie. Sans méconnaître le but de l’art moderne, M. Quinet a donc pu, après ces maîtres, choisir parmi les types du paganisme l’interprète de sa pensée.

Le poème de M. Quinet se divise en trois parties ; le titre de la première est : Prométhée inventeur du feu. La terre vient de sortir des eaux du déluge ; Prométhée forme les hommes du limon recueilli au bord de l’océan ; il anime de son souffle le corps de la première femme ; Hésione, la mère des hommes, sort de l’argile. Prométhée l’interroge ; il lui révèle les épreuves qu’elle devra subir, et la laisse libre de choisir entre la vie et le néant. Hésione se laisse décider par l’espérance ; elle salue la mer argentée, le ciel qui lui sourit, la terre qui la porte ; elle accepte la vie.

Prométhée enlève le feu aux cyclopes ; il revient près d’Hésione. Le foyer est construit pour la première fois ; le souffle d’Hésione l’attise ; l’eau, le vin et le lait tiédissent autour de la flamme, et les premiers hommes, sortant peu à peu de leurs retraites, viennent prendre place au banquet de Prométhée.

Cependant le vol sacré se découvre ; les Olympiens se liguent contre le créateur de l’humanité. Némésis, aidée des Cyclopes, enchaîne Prométhée sur le Caucase. Le règne des dieux est affermi, la violence triomphe, l’humanité servile adore la force et oublie Prométhée. Mais les accens prophétiques du Titan troublent bientôt le calme de l’Olympe. Prométhée voit dans l’avenir un autre Caucase, un autre dieu crucifié ; il prédit la ruine de ses vainqueurs. Les dieux, pour se venger, livrent Prométhée au doute. Cependant la terre a recueilli les plaintes du prophète, et, dans un religieux enthousiasme, elle appelle le roi de l’avenir. Le chœur, qui exprime cette attente solennelle, termine la seconde partie du poème : Prométhée enchaîné.

L’avénement du christianisme est célébré dans la troisième partie : Prométhée délivré : Au lever du soleil, les archanges Michel et Raphaël descendent sur la terre ; ils aperçoivent Prométhée enchaîné sur le Caucase ; ils s’approchent du Titan, qui contemple, avec des yeux ravis, ces dieux inconnus. Ils l’interrogent. Prométhée leur raconte sa vie. Michel révèle à Prométhée la chute de Jupiter et la victoire du Christ. Prométhée n’ose croire au récit de Michel. Alors l’effet se joint aux paroles : les chaînes rivées par les cyclopes tombent d’elles-mêmes ; le vautour meurt, percé par les flèches divines ; le doute abandonne Prométhée ; la délivrance du Titan est accomplie. Au même instant, les lamentations des dieux retentissent ; la nuit descend sur leur