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actif et hardi, qui a fondé son crédit sur un contraste constant avec la somnolence de l’Autriche. Pendant que, d’un côté, il étendait ses relations sur l’Allemagne, en reculant chaque jour, par de nouveaux traités d’accession, les postes de ses douanes, de l’autre, il s’occupait avec ardeur du soin de rendre plus étroits les liens qui unissent ses provinces, étrangères les unes aux autres. Pénétrer d’une vie intime et vraiment nationale les parties disjointes de ce vaste corps sans cohésion et sans ensemble, telle a été et telle devait être l’idée-mère de la politique prussienne.

Peut-être pouvait-on comprendre, sous quelques rapports, autrement que ne l’a fait ce cabinet si éclairé d’ailleurs, et ses intérêts à venir et les lois de sa position. Il est loisible de penser, par exemple, que l’érection d’une tribune politique à Berlin aurait plus avancé que tous les efforts du gouvernement prussien l’œuvre à laquelle il s’est laborieusement dévoué. Autour de ce centre, qui eût exercé une si constante domination sur toute l’Allemagne constitutionnelle, auraient pu se grouper assez vite ces provinces arrachées tour à tour à l’Autriche comme à la Saxe, à la Pologne comme à l’empire français. Alors, au lieu d’avoir à combattre le fanatisme luthérien en Silésie, le catholicisme sur le Rhin, le génie national dans le duché de Posen, on se serait trouvé, un demi-siècle plus tôt tout au plus, face à face avec des embarras politiques, il est vrai, mais avec une force immense pour les supporter.

La Prusse a compris autrement son rôle ; et celui qu’elle a pris a eu assez de succès pour qu’il pût y avoir quelque ridicule à lui tracer après coup un programme tout différent. Aujourd’hui que pas un état de quelque importance, au Hanovre près, n’est en dehors du vaste réseau de ses tarifs, et que son influence domine visiblement la confédération germanique, elle peut assurément arguer de ses œuvres.

Rejetant, pour appuyer l’unité prussienne, le principe de la liberté politique, le cabinet de Berlin conçut la pensée de puiser sa force dans le principe protestant, qui avait, à bien dire, fondé la monarchie en face du Saint-Empire. Depuis vingt ans, il se présente à l’Allemagne comme le centre de l’esprit réformé, en même temps que comme le modèle des gouvernemens éclairés et progressifs en dehors de l’action des théories françaises. Ce principe le séparait, en effet, de l’Autriche, en même temps qu’il lui servait de garantie contre la France. Si M. Ancillon a dit en 1818 : « Ce n’est pas une triple ligne de forteresses qui nous préservera de la France, ce sera le rempart d’airain du protestantisme, » il a prononcé un mot fort juste ; il ne manquait à cette idée que de se produire dans des conditions compatibles avec la prudence, et surtout avec le respect dû à la foi des peuples.

Il est, en effet, un intérêt contre lequel l’intérêt purement social n’aurait pas le droit de prévaloir, à supposer qu’il en eût la puissance. Il y a en ce monde autre chose que de la politique ; et pour être des esprits éminens, Machiavel, Charles-Quint, Richelieu et Napoléon ne sont pas la plus haute expression de l’intelligence humaine. Cette expression suprême de la dignité