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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

des ennemis de sa première patrie. Cette résolution, du reste, lui coûta d’autant moins, qu’il y était poussé par la haine secrète qu’il nourrissait contre Napoléon. Bientôt il donna à la Suède un gage éclatant de sa conversion politique. Deux mois s’étaient à peine écoulés depuis son arrivée à Stockholm (19 décembre 1810), qu’il proposa en son nom à la cour de Copenhague, une série de dispositions dont le but était de soustraire la navigation entière de la Baltique et de la mer du Nord à la législation du système continental. En allié fidèle de la France, le roi de Danemark non seulement repoussa ces offres, mais s’empressa de les communiquer à l’empereur. En même temps que Bernadotte s’efforçait de nous enlever nos alliés, il se livrait dans ses discours à une critique amère de la politique de Napoléon, accusant hautement ses exigences, et affectant de dire que c’était un devoir pour la Suède de savoir lui résister. Les torts de ce prince dans cette occasion sont inexcusables ; si, pour le fond même des choses, il était le jouet et en quelque sorte la proie des évènemens, la forme du moins lui restait, et c’est par la forme qu’il aurait dû sauver, à lui la honte, et à son bienfaiteur l’amertume d’un changement auquel il semblait s’attacher à donner tous les signes d’une ingrate défection.

L’offense appelle l’offense ; sans doute, il y aurait eu de la grandeur dans Napoléon, placé si haut, à savoir pardonner les fautes de son ancien lieutenant, et de l’habileté à dissimuler son mécontentement ; car Bernadotte n’était plus son sujet, mais un prince qu’il avait un intérêt extrême à ménager. Il n’eut point cette modération : les souvenirs de ses anciens griefs contre le maréchal Bernadotte se réveillèrent ; à dater de ce moment, il lui retira toute espèce de marque d’amitié et de confiance, et sembla même s’étudier à le blesser au vif. Il commença par lui appliquer, dans sa rigueur, la loi qui privait de ses dotations tout Français passant au service d’une puissance étrangère. Le prince était sans fortune, et le coup dut lui être sensible. On lui ôta la faculté de conserver près de sa personne ses anciens aides-de-camp qu’il aimait beaucoup, et qui étaient comme un dernier lien qui le rattachait à sa première patrie : ils reçurent tous l’ordre de le quitter et de revenir en France. Enfin l’empereur n’opposa, pendant plusieurs mois, qu’un silence dédaigneux à toutes les lettres que le prince lui écrivait de Stockholm. Cependant ce dernier lui ayant demandé un subside de 20 millions pour aider la Suède à supporter ses pertes et à faire des armemens, l’empereur se décida à rompre le silence, et il lui répondit le 8 mars 1811 : au lieu d’un subside, il se bornait à lui offrir pour 20 millions de denrées coloniales qui étaient à Hambourg, en échange de 20 millions de fers. Il lui disait dans cette lettre : « Chassez les contrebandiers anglais de la rade de Gothenbourg ; chassez-les de vos côtes où ils trafiquent librement ; je vous donne ma parole que, de mon côté, je garderai scrupuleusement les conditions des traités avec la Suède. Je m’opposerai à ce que vos voisins s’approprient vos possessions continentales ; si vous manquez à vos engagemens, je me croirai dégagé