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engageantes, faisant des insinuations plutôt que des offres réelles d’alliance, et se bornant à entretenir ses dispositions amicales en lui répétant sans cesse, par l’organe de son chargé d’affaires, que la France n’armait contre la Russie que pour la forcer à lâcher prise en Orient et dégager la Turquie. Cette réserve excessive à l’égard d’un état qu’il avait un intérêt si capital à fixer dans son système, prouve à quel point il craignait de précipiter une rupture avec Alexandre avant qu’il n’eût transporté son armée sur la Vistule. Ce ne fut qu’à la fin de janvier 1812, dans le moment où il traitait avec l’Autriche et la Prusse, qu’il se décida à proposer formellement son alliance à la Porte. Voici ses conditions :

En cas de guerre entre la France et la Russie, le grand-seigneur marcherait lui-même à la tête de cent mille hommes contre cette dernière puissance. La France non-seulement lui garantissait l’intégrité de son empire, mais elle s’engageait à lui faire restituer la Crimée, la Tartane et toutes les provinces que la Turquie avait perdues depuis quarante ans. La Pologne, dont la destruction avait été si fatale à ses intérêts, serait rétablie. La Porte mettrait au service de la France, pendant toute la durée de cette guerre, un corps de cavalerie turque dont le chiffre serait fixé ultérieurement.

Proposées six mois plus tôt, ces offres eussent été accueillies par la Porte avec des transports de joie ; maintenant, elles ne rencontrèrent de sa part que des dispositions répulsives. C’est que, pendant ces six derniers mois, de nouveaux désastres étaient venus accabler l’empire et paralyser son action.

La dislocation de la grande armée russe du Danube, au mois de mars 1811, avait d’abord amélioré beaucoup la situation militaire de la Turquie. Le sultan avait compris que c’était pour elle une occasion décisive de réparer ses défaites et de reprendre l’offensive sur tous les points. Un dernier effort fut alors tenté par cet empire débile et mourant pour recréer une armée et se mettre en mesure d’arracher des mains des Russes la Moldavie et la Valachie. Mais c’est avec une peine infinie que le grand-visir put rassembler et conduire sur les bords du Danube une armée de quarante mille hommes. Elle débuta, du reste, par des succès : elle reprit aux Russes la plupart des places du Danube, dont ils s’étaient emparés, principalement celle de Routshouk, et reportant la guerre en Valachie, elle s’avança pour délivrer les deux provinces grecques. Ces heureuses nouvelles avaient ranimé le courage à Constantinople et réduit au silence les partisans de la paix, lorsqu’un nouveau revers vint détruire les dernières espérances de la Porte. Le général russe Kamenskoi était mort et avait été remplacé par un vieux guerrier dont l’âge avait blanchi la tête, mais non refroidi l’ardeur. Kutusoff reçut, avec le commandement de l’armée du Danube, l’ordre de sa cour de vaincre à tout prix, afin de dicter la paix au plus tôt et de se trouver disponible pour le moment où commencerait la guerre contre la France. Afin d’accélérer ses succès, l’empereur Alexandre rendit à son armée d’Orient trois des cinq divisions qu’il en avait retirées au mois de mars, en sorte que le nouveau général se trouva en force, non seulement pour se maintenir dans les deux provinces grecques, mais même pour reporter la