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ciété passait du fief dans l’état, et jouissait des avantages réservés, je ne dirais pas encore aux sujets, mais aux hommes du roi. Elle devait par conséquent avoir sa part des charges publiques. Aurait-il été naturel et juste que la couronne employât gratuitement la fortune et les bras de ses vassaux et le service de ses officiers à la défense et au profit des communes ? Sans doute que des communes ont payé de fortes sommes au roi ; mais on doit faire attention qu’en ce temps-là le trésor royal n’était autre que le trésor public, et que, dans les cas dont je parle, l’argent qu’on pouvait y verser était d’ordinaire, pour le souverain, le prix légitime, la juste indemnité de sa protection, plutôt que le produit de ses extorsions, de ses rapines ou de sa vénalité.

On ne serait pas mieux autorisé à disputer à Louis-le-Gros le titre de fondateur des communes en France, attendu que, si plusieurs communes s’étaient déjà formées lorsqu’il monta sur le trône, aucune n’avait alors pour elle la sanction du temps ni celle de l’autorité royale. Toutes n’existaient que de fait, et d’une manière très précaire, c’est-à-dire sous la condition d’avoir constamment la force de leur côté. Leur état propre était un état violent, un état de guerre, et présentait dans la France une espèce de monstruosité politique. Ce fut Louis-le-Gros qui leur donna la stabilité et la légitimité ; ce fut lui qui éleva le premier la commune au rang d’institution publique, qui lui fit une belle et grande place dans la constitution de la monarchie, et qui lui concéda ou reconnut des droits que chacun dans le royaume fut désormais tenu de respecter. Il faut être juste envers les rois comme envers les peuples, et ne pas trop se presser de condamner aujourd’hui ce qui était approuvé généralement depuis plusieurs siècles. Ayons plus de confiance dans la raison et dans la justice de nos pères, et ne soyons pas si prompts à reformer leurs opinions et leurs jugemens. Souvent, à vouloir présenter les choses sous un jour nouveau, on court le risque de les présenter sous un jour faux, et l’on tombe d’ordinaire dans le mensonge à force de viser à l’originalité.

Mais ce qui frappe le plus dans les révolutions du moyen-âge, c’est l’action de la religion et de l’église. Le dogme d’une origine et d’une destinée communes à tous les mortels, proclamé par la voix puissante des évêques et des prédicateurs, fut un appel continuel à l’émancipation du peuple[1] ; il rapprocha toutes les conditions, et

  1. His et cæterorum divinorum eloquiorum sententiis potentes et divites edocti, agnoscant et servos suos et pauperes sibi natura æquales. Si igitur servi dominis natura æquales sunt, utique quia sunt, non se putent impune domini laturos, dum turbida indignatione et concitanti animi furore adversus errata servorum inflammati, circa eos aut in sævissimis verberibus cædento, aut in membrorum amputatione debilitando, nimii existunt, quoniam unum Deum