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REVUE. — CHRONIQUE.

nos institutions, que l’esprit révolutionnaire nous ait rendus impropres à la paix et au repos ? Qu’on y prenne garde. La vivacité, la violence même qu’on passait à de jeunes écrivains qui ignoraient encore les secrets et les difficultés du gouvernement, seraient jugées sévèrement par les esprits élevés, si on les retrouvait tout à coup dans des hommes d’état que doit avoir mûris pendant huit ans le maniement des plus hautes affaires. Eh quoi ! des hommes se seront élevés par leur mérite aux premiers rangs de la société, et ils ne sauront pas donner, à ceux qui sont restés au-dessous d’eux, l’exemple du respect et des égards qu’on se doit les uns aux autres ! Leur langage, leurs idées ne se seront pas élevés dans la sphère où ils vivent ? Au contraire, on sera réduit à rechercher dans les feuilles populaires leurs anciens écrits, ou à recourir aux paroles qu’ils prononçaient dans la plus modeste chaire, pour leur trouver des vues d’hommes d’état et des formes de langage nobles et dignes ! À qui s’en prendre de cette triste déception ? Au pouvoir qu’il faudrait accuser alors de diminuer le mérite et de rétrécir l’esprit, ou aux hommes eux-mêmes qui ne se seraient pas mis au niveau d’une situation où Colbert, Pombal, Canning, avaient su agrandir encore le cercle de leurs pensées ?

Si la coalition ne parvient pas au but qu’elle se proposait, la leçon profitera à tout le monde. En perdant l’espoir d’imposer à leur gré leurs volontés au pays, quelques hommes de talent qui y figurent, prendront une meilleure route, et se résigneront, comme font les hommes d’état les plus éminens en Angleterre, à attendre que le jour de mettre leurs principes en pratique soit venu. M. Thiers a fondé lui-même son ministère futur sur la question d’Espagne. Tant que la session durera, il sera facile de consulter la chambre sur cette question. On peut la présenter chaque jour, à toute heure, à propos du budget, de la rente, des chemins de fer ; on pouvait même l’élever à propos de la loi du cadre de l’état-major, qu’on discutait hier. Assurément, ce n’est pas le ministère qui s’opposera à un ordre du jour motivé sur cette question. L’Espagne est sous nos yeux, d’ailleurs. Si, au lieu de déclarer que le cabinet français remplit les conditions du traité de la quadruple alliance, comme l’a fait récemment à la tribune le chef du ministère espagnol, le cabinet de Madrid se plaignait de l’abandon de la France ; si le gouvernement de la reine avait échoué dans son emprunt et que don Carlos eût accompli le sien à la face de l’Europe, il serait sans doute opportun de demander aux chambres si elles consentent à envoyer nos soldats et la réserve de notre trésor en Espagne. En l’absence des chambres, la nécessité, pendant la session le vœu de la majorité, décideront toujours de cette question, et, en conséquence, du moment précis où le côté gauche de la coalition entrera aux affaires. Pourquoi donc tant s’agiter ? Dans quel but tout ce bruit et cette ardente opposition ? pourquoi cette levée de boucliers contre le pouvoir, quand on ne pourrait le garder pour soi ?

Est-ce pour l’offrir à M. Guizot et à ses amis ? Mais, quelques efforts que l’on fasse, le pays est encore tranquille, les lois s’exécutent partout. Que ferait-on, dans cet état de choses, du système de répression et d’intimidation, qui est toute la politique de M. Guizot ? Est-ce le temps, est-ce l’heure de ces