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défectueux, disons-le, sous le rapport de la célérité dans l’exécution. Pour les entreprises de ce genre, c’est le temps qui est le plus précieux des capitaux, et si l’état ne doit pas procéder rapidement aux travaux, il y aura, sans nul doute, avantage à les confier aux compagnies. Perdre un an encore sans prendre de résolution, c’est compromettre tout l’avenir du pays ; c’est, nous le répétons, jeter la Belgique dans les bras de la Prusse, et étendre jusqu’à la Suisse le cercle des douanes allemandes.

Les journaux de la coalition diront encore que nous accusons la commission de la chambre. Si l’accusation existe, elle est dans les faits suivans et non dans nos paroles. On a déjà couvert, en Allemagne, une souscription pour un chemin de fer, partant des frontières du nord de la Bavière, et qui se dirigera en ligne directe à travers la vallée de la Werra sur le Hanovre, Bremen, Hambourg et Lubeck. Cette ligne, qu’on désigne sous le nom de ligne allemande centrale anséatique, n’est pas la seule qui se prépare au moyen de souscriptions remplies avec une rapidité étonnante. Francfort, qui avait été taxé à 1,000,000 de florins dans cette souscription du chemin de la Bavière à Hambourg, a fourni 3,292,000 florins en quelques heures. La petite ville de Hildburghausen souscrivait pour 500,000 florins, Cobourg pour une somme pareille. Les états du pays souscrivent dans chaque localité, et on ne peut se figurer l’empressement avec lequel les gouvernemens et les peuples de l’Allemagne contribuent à l’exécution des cinq lignes du chemin de fer central, qui portera les marchandises des villes anséatiques et de la mer du Nord, dans l’Allemagne méridionale, et jusqu’aux frontières de la Suisse. Par le projet ministériel, par la construction (si elle était plus prompte que ne le propose le ministère) d’un canal qui se rendrait au Rhin, et d’autres canaux qui lieraient nos principaux fleuves, par la confection des lignes de chemin de fer, les travaux de l’Allemagne n’aboutiraient qu’à faire de la France l’entrepôt et le lieu de transit du nord au midi de l’Europe. Si, au contraire, la commission l’emporte, cet ajournement nous sera fatal, et nous verrons arriver à nos frontières des concurrens nouveaux, dont les produits, au lieu de traverser le Rhin, suivront la rive droite, et nous fermeront d’importans débouchés. Assurément si une chose nous étonne, c’est de voir qu’une commission composée d’hommes si distingués n’ait pas conçu l’opposition d’une autre manière, et qu’au lieu de tout entraver, elle n’ait pas dépassé le ministère en lui reprochant l’insuffisance des moyens qu’il propose, et en le poussant activement, hostilement, si l’on veut, dans une voie où il entre avec une timidité que nous n’hésitons pas à blâmer. C’était là un rôle habile et tout-à-fait digne de la réputation européenne de M. Arago, réputation scientifique et industrielle que son rapport tout politique va, dit-on, compromettre un peu.


F. Buloz.