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force de volonté qui seule conduit à la correction ; la fougue les emporte ; ils croient aux caprices de la forme comme aux caprices de la couleur, et ils se satisfont trop aisément de l’à peu près. La ligne est capricieuse sans doute, mais, même dans ses caprices, elle est rigoureuse, elle est juste ; il faut vouloir, tout en la suivant dans sa mobilité et ses ondulations infinies, se soumettre à sa rigueur et à sa justesse.

II.

Le jour où l’art fut déclaré franc, la grande guerre de classique à romantique cessa ; beaucoup de vaincus passèrent aux vainqueurs, puis les deux armées se débandèrent et formèrent de nombreux corps de partisans maraudant chacun pour son compte. Il y eut de nouveau un moment d’anarchie que beaucoup déplorèrent, mais à tort ; car cette anarchie qui suit les révolutions est féconde, elle détrône les gens sans talent et donne occasion au plus fort et au plus habile de se placer au premier rang. Nous n’en sommes encore aujourd’hui qu’au moment du travail de la fécondation ; la charrue et la herse ont retourné et sillonné la plaine dans tous les sens, la terre est riche et bien remuée, la moisson viendra. En continuant l’image, nos expositions du Louvre pourraient se comparer aux premières coupes qui donnent plus d’énergie à la sève, et qui, parmi beaucoup de tiges vertes, offrent au moissonneur quelques fleurs précoces et brillantes, quelques épis déjà mûrs. Mais ces expositions sont peut-être trop fréquentes, et il est à craindre qu’au lieu d’enrichir la sève, elles ne finissent par l’épuiser. Cependant l’abondance est extrême dans chacune de ces expositions annuelles, et cette abondance a droit d’étonner. Ce qui ne nous surprend pas moins, c’est que par notre siècle de positivisme et d’industrialisme, comme disent ceux qui font des mots nouveaux pour de vieilles choses, chaque année le nombre des hommes qui s’occupent de l’art de la peinture devienne de plus en plus considérable. L’or est tout, répète-t-on par-dessus les toits, et l’utile est le seul chemin qui conduise à la fortune. L’or est tout, et voilà cependant plusieurs centaines d’hommes plus ou moins heureusement doués qui se résignent de gaieté de cœur à s’en passer, car pour un qui bat monnaie avec la gloire, combien y en a-t-il qui n’obtiennent ni gloire ni argent ! Il y a là un désintéressement et un renoncement au bien-être qui pourraient faire croire à la vocation de la plupart de nos artistes, si le résultat de leurs efforts ne témoignait trop souvent de leur impuissance. Sans nul doute les gens de talent, les praticiens habiles, sont plus nombreux que jamais, mais les hommes d’élite sont rares. C’est de ceux-là surtout que nous nous occuperons avec quelque détail. Une exposition annuelle n’est qu’un moment dans l’histoire de l’art, qu’une époque dans la vie d’un peintre ; nous ne voulons donc pas donner à une seule de ces expositions plus d’importance qu’elle n’en mérite : nous consta-