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SALON DE 1838.

mais dont les formes manquent quelquefois d’élégance. La Reddition d’Anvers du même artiste est une charmante esquisse d’effet piquant et d’exécution solide. MM. Bellangé et Langlois sont deux peintres d’une inépuisable fécondité ; M. Bellangé est toujours un peu gris, mais il est impossible de retracer avec plus d’en-train et de vérité le mouvement d’un combat ou l’emportement d’une attaque. La Bataille de Polotsk, de M. Langlois, se distingue par des qualités analogues ; le mouvement en est excellent, mais la couleur en est outrée, et l’exécution singulièrement lâchée. La Prise de Lérida de M. Couder, et la Bataille de Cossel, de M. Gallait, sont de ces ouvrages chaudement conçus et chaudement exécutés qu’on rencontre en trop petit nombre au salon. M. Gallait surtout promet un peintre, quelque genre qu’il embrasse. Ses chevaux et ses personnages sont vivans, ses costumes sont traités avec amour, et son paysage est l’un des meilleurs de l’exposition. MM. Beaume, Odier, Renoux et Mozin, peintres de batailles par occasion, ont prouvé qu’ils pouvaient s’essayer dans tous les genres. M. Larivière, dans son Bayard blessé, est toujours un peintre correct et précis ; mais nous lui voudrions plus de largeur et de moelleux dans la touche. La Bataille de Saint-Jacques, de M. Alfred Johannot, est le chant du cygne. Jamais le coloris de M. Johannot n’avait été plus éclatant ni plus varié ; dans la dernière année de sa vie, sa manière semble avoir subi une transformation : d’ingénieuse et de brillante, elle est devenue large et vigoureuse. C’est que M. A. Johannot était vraiment possédé de l’amour de son art ; c’est que l’homme qui étudiait encore sur son lit de douleur, qui parlait d’avenir quand déjà le voile de la mort l’enveloppait de ténèbres, n’était pas un artiste ordinaire. Si ses forces physiques n’eussent souvent trahi sa persévérance, s’il eût vécu, sans nul doute M. A. Johannot se fût placé aux premiers rangs de l’école française.

IV.

« Ce n’est pas au salon, c’est dans le fond d’une forêt ou au milieu des montagnes que le soleil ombre et éclaire de ses rayons, que Loutherbourg et Vernet sont grands ! » s’écriait Diderot vers la fin du dernier siècle. L’éloge était magnifique. Loutherbourg et Vernet, habiles paysagistes, pèchent cependant par le défaut du temps, la manière. Leurs roches se brisent avec une régularité que ne présente pas la nature ; elles ont la transparence de l’agate ou de la topaze, selon que l’ombre les brunit ou que le soleil les dore de ses rayons ; leurs arbres sont maigres et comptés ; leurs vagues ont la couleur et la solidité du silex ; elles feraient feu sous le briquet. En revanche, tous deux comprennent la lumière, et savent peindre l’air, sa transparence et sa fluidité. Diderot nous a laissé d’admirables poèmes inspirés souvent par de très médiocres tableaux de ces artistes. Sa riche imagination y trouvait tout ce qu’il y voulait voir. Que dirait aujourd’hui Diderot, parcourant les salles du Musée et s’arrêtant devant les ouvrages de tels peintres, qui ont fait faire au paysage,