Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/446

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
442
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’attendre, et se livrer à la merci des circonstances ; le vaste et ténébreux génie d’un grand agitateur, et l’on n’assiste pas une seule fois à la conception d’un de ces plans habiles au moyen desquels l’homme de génie remue, du fond de son cabinet solitaire, la masse entière des élémens impurs d’une nation. L’auteur se borne à nous dire, en toute occasion décisive : C’est un génie dont l’ascendant est irrésistible ; mais il veut apparemment être cru d’autorité magistrale.

Quel but s’est proposé un homme d’une profession aussi grave en écrivant un pareil ouvrage ? J’espérais qu’après avoir échoué dans ses tentatives antérieures pour populariser, par le roman, la philosophie de la nature, il aurait mieux réussi cette fois. C’est là sans doute un mauvais genre de composition ; néanmoins, si un résultat utile est obtenu, il ne faut pas juger trop sévèrement les moyens. Mais M. Steffens s’est borné à placer dans son livre deux scènes d’herborisation, disant que son jeune naturaliste, dans son enthousiasme expansif, s’identifiait avec la nature, et que la nature s’identifiait avec lui ; et quand la lumière s’est ainsi faite, il n’en est plus question dans les mille pages restantes. Ce roman n’est pas non plus un roman de mœurs, car l’honnête professeur est de l’espèce de ceux qui peuvent dire en vingt langues différentes le nom d’un fauteuil, mais ne savent pas s’y asseoir. Ce n’est pas moins qu’un roman politique, écrit dans un esprit contre-révolutionnaire et luthérien, à l’adresse du gouvernement prussien, dont M. Steffens est aujourd’hui l’employé. Ce gouvernement, plus adroit que beaucoup de ses savans serviteurs, doit être peu touché de cette marque de dévouement, très faite pour le compromettre vis-à-vis des gens raisonnables, si les gens raisonnables lisaient beaucoup M. Steffens. Celui-ci dit, entre autres choses curieuses, « qu’un peuple n’est jamais opprimé par les grands sans l’avoir mérité, de même que l’oppression n’est jamais exercée sans la faute des gouvernans ; que dans ce cas se manifeste la punition du ciel, qu’il dépend de nous d’adoucir ou de rendre plus terrible. Si nous l’acceptons, si nous nous y soumettons, si nous avouons que nous méritons le châtiment, la peine est modérée, et nous ne sortons jamais des rapports réguliers. La soumission volontaire adoucit d’abord l’esclavage et finit par le faire cesser. C’est ce que nous nommons le paisible développement historique. » Pour qu’on ne se trompe pas sur le sens de ce fameux développement historique, si cher aux maladroits publicistes de la vieille Allemagne, M. Steffens se met à demander grace, timidement il est vrai, pour les institutions vermoulues que nous voulons sacrifier, dit-il, à notre individualité égoïste. Dans ces institutions qui pèsent encore sur l’Allemagne, tout lui est bon à conserver pour l’amour de la valeur historique. Tout en admettant qu’un baron ignare et pauvre pourrait bien avoir moins de force réelle qu’un roturier instruit et riche, il insiste sur ce que la féodalité a rendu jadis des services historiquement démontrés ; d’où il suit qu’il faudrait sacrifier à des thèmes d’études historiques les hommes d’aujourd’hui, avec leurs haineuses répugnances, avec leurs volontés énergiques. M. Steffens en est encore à proposer, comme la