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quées jusqu’ici[1] recevront sans doute de ce recueil une lumière nouvelle. Ce sera un grand service rendu à l’étude historique de l’hérésie du XIIIe siècle, dont, par de singulières destinées, les traditions se sont encore conservées, après huit siècles, dans quelques vallées des Alpes.

On le voit, et nous l’avons déjà laissé pressentir au commencement de cet article, le défaut le plus grave de la Collection, c’est le manque de liaison et d’unité entre les parties qui la composent. Se multipliant ainsi sans aucune connexion, et publiés séparément, sans tomaison qui leur donne même un numéro de rappel, les documens finiront par se perdre, par se confondre dans le nombre. Peut-être serait-il convenable de songer à leur donner un ordre plus systématique, où l’isolement n’amenât pas l’oubli. La hâte assez pardonnable qu’on a eue de publier immédiatement un certain nombre de volumes, pour satisfaire à la première exigence des chambres, a été la principale cause de ce manque de suite et de classification, qui, il faut l’espérer, ne se renouvellera plus dorénavant.

On ne peut pas faire le même reproche d’empressement trop hâtif et d’incohérence, dans les publications, aux trois grands recueils qui se préparent avec une sage lenteur, et qui donneront à la collection une haute portée scientifique et une durée sérieuse. Les Monumens inédits de l’histoire du Tiers-État, auxquels M. Augustin Thierry a bien voulu, avec une singulière persévérance et un zèle rare qu’aucun obstacle n’arrête, consacrer les efforts d’une vie si honorablement vouée à la science, se diviseront en quatre collections particulières, à savoir : chartes d’affranchissement et statuts municipaux des villes ; réglemens des corporations et jurandes ; actes relatifs aux états provinciaux et aux états généraux, et enfin, pièces concernant l’état des personnes roturières, soit de condition serve, soit de condition libre. On le voit, ce vaste plan embrasse le tiers-état dans tous ses développemens ; il le suit à l’hôtel-de-ville, dans la maîtrise ; il le suit dans ses participations au pouvoir politique, comme dans les priviléges personnels auxquels il arrive. L’auteur des Lettres sur l’histoire de France a compris qu’il ne pouvait être donné à un seul homme de parcourir une si longue carrière,

  1. On s’est de tout temps fait une fausse et bizarre idée de ces doctrines, et les historiens les ont presque tous altérées. J’en veux citer un curieux exemple. Pierre Leprestre, abbé de Saint-Riquier, dans une chronique manuscrite et inédite qui nous a été communiquée par M. Louandre, disait en 1485, à propos des Vaudois d’Arras : « C’étaient aucunes gens, hommes et femmes, qui de nuict se transportaient, par la vertu du diable, des places où ils étoient, et soudainement se trouvoient en aulcuns lieux, arrière des gens, ès bois et ès déserts, en très grand nombre hommes et femmes ; et trouvoient illec un diable en forme d’homme, auquel ils ne veoient jamais le visaige. Et ce diable leur disait ses commandemens et ordonnances… Puis faisait par chascun baiser son derrière, et puis il laissait à chascun un peu d’argent, et finablement leur administroit vins et viandes a grant largesse, dont ils se repoissoient, et puis tout à coup chascun prenait sa chascune et en ce point s’estaindoit la lumière… » — D’où vient cette singulière et fantastique scène, racontée par un sage et pieux chroniqueur ?