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l’expérience est plus récente et s’accomplit pour ainsi dire sous nos yeux. Tandis que le système représentatif semble déjà être solidement établi, et qu’il résiste avec bonheur aux plus rudes épreuves que puisse traverser un gouvernement naissant, l’industrie, à peine reconnue viable, ne se livre qu’en hésitant à une tendance visible pourtant d’organisation.

Cette distance, que conservent entre eux les deux mouvemens, s’explique par la diversité même de leurs caractères. En politique, l’association est forcée ; c’est une nécessité qui vient à son heure et que l’on n’ajourne pas. Dans l’industrie, au contraire, tout est libre et spontané : on ne rapproche les capitaux que lorsqu’ils sont devenus intelligens, et les hommes que lorsqu’ils le veulent bien. Il ne suffit pas que les travailleurs et les capitalistes aient intérêt à unir leurs efforts ; il faut encore que les uns et les autres aperçoivent clairement cet intérêt. L’association, en matière d’industrie, est comme le dernier échelon du progrès ; avant qu’elle se révèle, il faut que les lumières soient venues.

L’inégalité entre les peuples, sous ce rapport, ne résulte pas uniquement de l’infériorité relative de civilisation où la plupart sont retenus encore aujourd’hui. Elle provient aussi des circonstances diverses au sein desquelles le génie national de chacun s’est développé. Dans les cités comme dans les états où le gouvernement appartenait au petit nombre, les forces industrielles ont dû s’associer plus facilement ; car le pouvoir de l’aristocratie, bien qu’il s’exerce dans un intérêt de privilége, est déjà un mouvement de concentration.

Lorsqu’une aristocratie est intelligente et qu’elle a l’instinct des grandes choses, elle présente un excellent instrument pour les travaux de l’industrie. Là où les capitaux et le pouvoir se trouvent concentrés dans les mêmes mains, cet ensemble compose une force qui peut se jouer des obstacles matériels. L’association devient bien facile, quand on n’a qu’un petit nombre de volontés à accorder, et quand chaque individualité représente la puissance et la richesse d’une agrégation.

Voilà le secret des accroissemens rapides que l’industrie et le commerce ont pris de bonne heure dans la Grande-Bretagne. C’est parce que la constitution du pouvoir et celle de la richesse y reposent sur les mêmes bases ; c’est parce que l’Angleterre elle-même est une formidable aristocratie, qu’elle a pu prendre rang la première et s’élever aussi haut parmi les peuples industriels.

L’Angleterre est sortie des flancs du moyen-âge ; sa puissance est