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chambre démocratique, c’est qu’elle a, pour ainsi dire, une personnalité permanente que des dissolutions périodiques ne viennent pas briser ; elle dure ; elle ne se transforme que d’une manière partielle ; la vie, avec ses saillies et ses ondulations, y est soumise à des conditions de lenteur et de prudence.

Mais cet état organique et constitutionnel doit être contrebalancé par le mouvement du talent et de l’intelligence. Pour pouvoir modérer ce qui serait trop rapide et conserver ce qui est toujours bon et toujours nécessaire, la chambre des pairs doit se donner à elle même une certaine animation libérale ; et il semble qu’elle l’entende ainsi, car depuis quelque temps on a pu remarquer dans son sein quelques efforts pour rassembler les élémens d’une opposition habile et vraiment parlementaire.

La chambre des pairs peut s’élever à une grande et noble situation, en prenant la force et l’habitude de dire la vérité à tout le monde, au gouvernement, aux partis, au pays. Puisque son principe a résisté au choc qui a renversé l’empire et la restauration, elle doit tourner cette insigne fortune au profit d’elle-même et de la France.

Aujourd’hui vient se présenter à son tribunal une grave question d’intérêt social, dans la discussion de laquelle elle a déjà joué un grand rôle. En 1824, elle n’a rejeté la proposition de substituer des rentes à 3 pour 100 à celles créées par l’état à 5, qu’après les débats les plus explicites et les plus lumineux. Elle semblait s’être proposé d’épuiser la matière, aussi bien que les efforts de M. de Villèle, qui avait à lutter, au Luxembourg, contre une formidable coalition de financiers et d’hommes politiques. Quatorze ans après, la même question lui est rapportée par un autre gouvernement ; une partie des passions libérales qui combattaient la conversion en 1824, l’adoptent et la soutiennent en 1838 : mais ses anciens adversaires n’ont pas changé.

La conjoncture est délicate et nouvelle ; mais la chambre des pairs saura bien y faire face. On ne saurait redouter de sa part ni légèreté ni colère. Si elle écarte la proposition de l’autre chambre, elle saura faire choix de raisons solides et politiques. Ainsi il n’y a point à craindre qu’elle rejette le principe même de la conversion. En 1824, sa commission fut unanime pour reconnaître que le droit de remboursement est imprescriptible, et qu’il appartient à la nation : seulement elle ne se décida qu’à la majorité sur l’utilité de la loi projetée. Aujourd’hui les discussions, tant des deux tribunes que de la presse, ont répandu l’évidence sur le droit légal et moral que peut exercer le gouvernement