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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

indépendantes de la Russie. Fières, hardies, belliqueuses, elles n’aiment que la guerre et le pillage ; mahométanes ou idolâtres, les Russes leur sont doublement odieux comme ennemis de leur religion et de leur indépendance. On comprend que si elles avaient pu s’unir contre eux et agir de concert, il leur eût été facile de fermer absolument les passages du Caucase ; mais elles diffèrent d’origine, de langage, de mœurs : elles sont sans cesse en guerre les unes avec les autres, et il y a des querelles fréquentes jusque parmi celles qui appartiennent à la même race. Grace à ces divisions, la Russie a pu établir et conserver sa ligne militaire, quoique avec beaucoup de peines et de dépenses. Il n’est rien qu’elle n’ait tenté pour neutraliser cet ennemi placé sur ses derrières et si redoutable en cas de revers pour les armées lancées au-delà du Caucase contre les Turcs ou les Persans. Elle a essayé tour à tour les voies pacifiques et les moyens violens, tantôt traitant avec les chefs et leur accordant des honneurs et des pensions, tantôt faisant des expéditions dans les vallées les plus reculées et portant partout le fer et la flamme. Et pourtant, depuis 1777, époque où la ligne du Caucase fut établie, ses efforts, quelque persévérans et quelque habiles qu’ils aient été, n’ont pu réussir encore à assurer complètement ses positions.

Parmi les populations caucasiennes, la plus connue est celle des Circassiens ou Tcherkesses. La beauté proverbiale des Circassiennes, si vantée dans tout l’Orient, la puissance des Mamelouks circassiens en Égypte, au moyen-âge, que sais-je ? le personnage si remarquable du circassien Argant, dans la Jérusalem délivrée, ont jeté sur leur nom un certain éclat poétique et romanesque, que M. Spencer et la presse anglaise cherchent à faire rejaillir sur leur lutte actuelle avec les Russes : c’est, après tout, une noble et remarquable race. Comme les Tcherkesses et les Abazes, leurs vassaux, occupent le versant méridional du Caucase, depuis l’embouchure du Kouban jusqu’aux frontières de la Mingrélie, et dominent ainsi près de cent lieues de côtes sur la mer Noire, la Russie n’aura la domination absolue et la libre disposition de cette mer qu’après les avoir assujettis. De là, le grand prix qu’elle attache à leur soumission, et de là aussi, le vif intérêt que portent les Anglais à l’indépendance de la Circassie.

Ce peu d’explications suffit, nous le croyons, pour donner une idée de l’importance de la question circassienne ; nous passerons donc, sans autre préambule, à l’analyse de l’ouvrage de M. Spencer.

Et d’abord, il faut faire connaître l’esprit qui l’anime et les vues générales qui ont présidé à la composition de son livre. La préface de