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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

améliorations sur améliorations, les fils du croissant sont restés stationnaires, et ils resteront ainsi tant qu’ils adhéreront à leurs institutions civiles et religieuses, qui non-seulement sont par elles-mêmes démoralisantes, mais qui, en outre, défendent toute tentative d’innovation. C’est grace à cet attachement aux anciens usages que nous trouvons maintenant l’empire turc semblable à une vieille chambre abandonnée, qui, ayant été fermée pendant des siècles, est tout à coup ouverte aux rayons d’un plein soleil de midi. Mais, jusqu’à présent, le seul résultat de cette émission de lumière a été que l’Osmanli porte la main à sa barbe avec plus de vivacité que de coutume, et s’écrie d’une voix plus animée qu’à l’ordinaire : « Mashallah ! Allah kerim ! »

« Un pays épuisé par des exactions séculaires, un peuple dépravé, gouverné par une suite de princes mous et efféminés ; à la frontière, une armée désorganisée faute de paie ; à l’intérieur, les janissaires, une troupe de bandits enrégimentés, effrayant les rues de la capitale par des scènes d’une violence révolutionnaire ; tout cela faisait de la Turquie une proie livrée sans défense à l’agression de ses ennemis. Aussi peut-on croire que les lauriers de la Russie ont été conquis sans difficulté, et que ses conquêtes sur les armées indisciplinées du croissant ont été achetées à peu de frais. Toutefois nous devons reconnaître que le soldat turc, n’étant pas énervé par les vices orientaux de ses frères plus opulens, conserve encore la valeur impétueuse et le zèle fanatique de ses indomptables aïeux, et qu’il a fait, pour défendre son pays, des prodiges d’héroïsme. Mais ayant eu le malheur d’avoir à sa tête des chefs sans talent et sans courage, sa vaillance ne lui a servi à rien contre un ennemi qu’il aurait facilement anéanti, s’il avait eu les avantages d’une éducation militaire semblable.

« À ses autres vices le Turc a ajouté celui de l’ivrognerie, non comme theriaki (mangeur d’opium), mais comme sectateur du dieu de la vigne. Même les dames du harem ont découvert que le rosoglio a plus de montant que le sorbet. Pendant mes promenades dans Constantinople, je rencontrais presque tous les jours autant d’ivrognes, dans les rues, qu’on en peut voir dans quelque ville chrétienne que ce soit ; l’on n’a, d’ailleurs, qu’à consulter les marchands francs sur la quantité de rhum et d’arack consommée par les dévots habitans de la capitale de l’islamisme. Ils boivent publiquement, car Mahomet, si grand prophète qu’il fût, n’a pas su prévoir la décou-