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produit de ses sueurs. Ils conservent une grande partie de leurs lois et de leurs institutions, sont gouvernés, à beaucoup d’égards, par leurs propres princes, et jouissent, en fait de religion, de la plus parfaite liberté de conscience. » Il ajoute que, malgré ces priviléges, ils ont une telle haine pour le giaour étranger, qu’ils ne laissent échapper aucune occasion de montrer leur aversion pour les Russes, et qu’ils fournissent secrètement des munitions à leurs voisins les Circassiens. Le mot de giaour, dont se sert ici M. Spencer, est ordinairement appliqué par les musulmans à ceux qui ne professent pas leur foi. Le voyageur anglais ne peut pas ignorer que les Mingréliens, quoique ayant été soumis aux Turcs, sont chrétiens, et que, par conséquent, les Russes ne sont pas pour eux des giaours.

Le voyage du comte Woronzof ne put s’étendre au-delà de Redoute-Kalé, à cause du mauvais temps. On avait projeté de visiter successivement le Phase, les provinces turques, l’Anatolie, Trébisonde et Sinope ; mais il fallut y renoncer parce que les orages durent plusieurs jours sans interruption dans ces contrées. Le vent, la pluie et la tempête s’étaient établis en permanence, et faisaient disparaître tout l’agrément du voyage. On se décida donc à regagner la Crimée le plus promptement possible. On relâcha pourtant encore à Bombora en Abasie, forteresse russe située entre Soukhoum-Kalé et Pitzounda, et la seule de cette côte qu’on n’eût pas visitée. Bombora est aussi bloquée par les montagnards, qui, malgré l’adhésion de leur chef au gouvernement, enlèvent tous les soldats russes qui s’écartent des retranchemens. La garnison y souffrait beaucoup de la fièvre, et, à cette occasion, M. Spencer parle de la mortalité qui règne dans les troupes de l’armée du Caucase. « Cette mortalité, dit-il, est attribuée à diverses causes. Ainsi l’on dit que la constitution du soldat russe est incapable de résister à l’influence énervante d’un climat chaud. On s’en prend encore à ses légers vêtemens de toile, qui ne sont pas appropriés aux variations fréquentes de l’atmosphère, à sa passion insurmontable pour les spiritueux, au sommeil pris en plein air, enfin au manque d’une nourriture convenable. Tout cela est indubitablement nuisible à la santé, et il faut y ajouter encore l’absence d’un bon traitement médical ; mais je suis porté à attribuer principalement la mortalité à ce que les soldats sont confinés dans les étroites limites de leurs forteresses, ce qui les expose à diverses influences funestes, car les épaisses forêts, les vallées resserrées et des masses de végétaux en putréfaction répandent leurs miasmes dans le voisinage. Cette supposition est confirmée par l’air de santé du montagnard qui court